La force des grands auteurs rock demeure avant tout dans leur part de mystère. Un défi pour les critiques rock qui tentent depuis toujours d'en extraire de la substance pour faire vendre et se vanter de détenir la clé des plus grandes énigmes fantasmées. On pense à John Lennon qui s'amusait avec I'm the Walarus à tourner ses textes en dérision et envoyer un joli pied de nez à ceux qui osaient théoriser son écriture. Le Loner est sans doute aujourd'hui, l'un des artistes de l'âge d'or du rock de la côte ouest des seventies à garder des pans entiers d'une discographie (pléthorique) sous clé, diffusée ponctuellement depuis sa caverne d'Ali baba, Neil Youg Archives (NYA).
Si Neil Young sort depuis quelques années de nouvelles archives, composées principalement de lives rares (de qualité inégale), on trouve de temps à autres de belles trouvailles sensibles (Hitchhiker) qui redonnent à certains titres sortis sous d'autres formes une toute nouvelle dimension. Homegrown représente une forme de sommet tranquille, grattouillé juste ce qu'il faut à la six cordes. Tenu à l'écart pendant plus de quarante ans, l'album a été confectionné lors d'une période où Neil Young connut la douleur d'une rupture. Bob Dylan écrivit Blood On the Tracks de son côté et signa un chef d'oeuvre.
Si Homegrown n'a pas la grandeur de Blood On the Tracks, il n'en demeure pas moins un témoignage artistique des grands jours, certains morceaux et arrangements auraient pu en effet figurer sur Zuma, On the Beach ou encore Tonight's the Night, rien que ça. Son titre éponyme, enregistré différemment en conclusion d'American Stars 'n Bars, possède à présent l'une des introductions les plus cool et les plus groovy de toute sa discographie. Ecoutez Kansas et vous vous retrouverez catapulté près du feu de cheminée crépitant d'un Will to Love. Florida est une "chute", un truc surréaliste, un document improbable témoin de discussions sous fumette et tequila qui devaient être nombreuses et très épicées en 1974. We Don't Smoke It No More est pas mal dans le genre non plus.
Davantage un recueil qu'un véritable album cohérent, Homegrown réactualise voire contextualise l'origine, la création, l'état d'esprit d'un artiste affranchi. Capable de fulgurances folk à se damner (White Line), de grands moments d'Harvest oubliés (Try) ou d'explosions rock brûlantes comme Vacancy, incarnation incendiaire inouïe convoquant World on a String de Tonight's the Night et Ohio.
Mais le génie réside dans l'archivage de tous ces titres confinés, dans cet ordre d'enchaînement invitant l'auditeur à suivre les fluctuations d'inspiration et les troubles hasardeux du Loner capable de convier une grande variété d'ambiances autour du feu. Les instruments ne changent pas mais le ton et la force vacillent plus d'une fois. Neil Young trébuche, ralentit, accélère et termine avec deux non inédits (il fallait oser) qui trouvent ici une place réconfortante, confinant au magique : on a tous rêvé de finir sur un morceau comme Star of Bethlehem, de conclure sur un titre d'une pureté indicible, de ne pas aller plus loin avant longtemps. Neil Young nous rappelait dans son autobiographie combien l'enregistrement avec Emmylou Harris était l'un des grands moments de sa carrière en studio.