Homegrown
7.2
Homegrown

Album de Neil Young (2020)

Ça y est donc enfin ! Homegrown est là.
Après quarante-cinq ans de mythe bien entretenu par son créateur qui l'a mis de côté au profit de Tonight's the Night en 1975. C'est quasiment un album-concept puisqu'il est thématiquement consacré presque en exclusivité à la séparation de Neil Young d'avec sa femme, l'actrice Carrie Snodgress (souvenez-vous du "I fell in love with the actress" dans "A Man Needs a Maid" sur Harvest). Et c'est ce qui aurait décidé Young de ne pas le sortir à l'époque, celui-ci étant trop intime pour le partager.

Homegrown est donc une cathédrale engloutie ou un pétard mouillé ? Ni l'un ni l'autre, mon capitaine !
Au milieu des années 1970, le Loner est à son âge d'or, et comme pour tout artiste dans sa période la plus passionnante et créative, même s'il crée des choses parfois un peu moins bonnes, elles ne sont jamais mauvaises et sont toujours au-dessus du niveau de ce qu'il produira une fois cette période bénie passée. Homegrown est donc bon, voire très bon ; comparable - à mon goût - à On the Beach.

Présenté par l'artiste comme un genre de chaînon manquant entre Harvest (1972) et Comes a Time (1977), il est en fait beaucoup plus proche du premier que du second par sa couleur sonore (écoutez "Try" juste après "Out on the Weekend", et vous verrez qu'il est difficile de croire que ces deux chansons ont été enregistrées à près de quatre ans d'intervalle). Le son est plus rêche, plus direct, plus rond et chaleureux et moins sophistiqué que sur Comes a Time, caractérisé en grande partie par les orchestrations au violon et les vocaux de Nicolette Larson. Et c'est tant mieux !
Pour dire les choses tout net, Homegrown est le meilleur des trois.
"Separate Ways", qui fait l'ouverture, est un peu décevante (mais on s'y attendait, sachant qu'il y figure la pedal steel guitar de Ben Keith) par rapport à la version de Stills-Young Band enregistrée en 1976 et à la très belle version live de 1993 interprétée avec Booker T & The MG's (avec un beau solo soul de Steve Cropper). Cela dit, si on est déçu de la comparaison, la chanson n'est pas mauvaise du tout. On regrette juste un peu les arrangements ultra country.
"Florida" (connue des bootleggers sous le titre "Tie Plate Yodle #3") qui n'est pas une chanson mais une narration accompagnée de sonorités diverses, faites par Young et Ben Keith avec des cordes de piano ou en faisant siffler des verres de vin (qu'ils ont ensuite sifflés eux-mêmes, j'imagine), est l'autre point faible de l'album. Un remplissage qui, avec le temps, sera ennuyant seulement une fois sur deux, à l'instar de "Revolution 9", et auquel on finira sans doute à s'habituer. Les faiblesses réelles de Homegrown sont donc bien ténues. On pourra peut-être aussi regretter la manière dont il s'achève : un morceau plus rythmé et plus long que "Star of Bethlehem" aurait peut-être été plus adéquat. Là, on a un peu la sensation que ça s'arrête au milieu de quelque chose (surtout que l'album est court). Ça fonctionne mieux si on l'intervertit avec "Love Is a Rose".
[L'album fonctionne mieux, je trouve, si on écoute les titres dans cet ordre-là : 1, 2, 3, 5, 12, 6, 7, 11, 8, 9, 10, 4. Et on peut même remplacer "Florida" (la 6) par "Homefires" maintenant que les Archives Vol. II sont sorties]

Le souci le plus important de Homegrown est qu'il ne contient pas de morceau énorme qui contraste avec le reste. Pas de "On the Beach", de "Revolution Blues" ou de "Vampire Blues" ici, comme sur l'album précédent, dont l'aura profitait aux autres chansons. Il y a pourtant de très bons moments, en tête desquels on trouve "We Don't Smoke it No More" : une impro électrique, grasse et bluesy en diable enregistrée le 31 décembre 1974. C'est le titre le plus long de l'album (au propre et au figuré), et on aurait malgré tout aimé que ça dure plus longtemps encore.
La version originale de "Homegrown" est également une très bonne surprise (électrique et non acoustique !), faisant oublier la version criarde (et un rien casse-tête) du Crazy Horse enregistrée l'année suivante et qui a fini en remplissage sur l'affreux American Stars 'n Bars de 1977. Le troisième morceau électrique est "Vacancy", une chanson très funky dans le fond et qui ne déparerait pas à la suite de "World on a String". "Try" a un petit côté western caricatural (PSG ! PSG ! PSG !) qui la rend assez marrante (malgré les paroles), surtout à partir du moment où le piano intervient, rythmant le morceau sur le pas d'un cheval (on imagine Lucky Luke dans le désert sur le dos de Jolly Jumper). La version originale de "White Line" est excellente, bien que j'en préfère les versions avec le Crazy Horse (1975 et 1990). Mais les subtils accompagnements de Robbie Robertson font de celle-ci une version qui mérité également le détour.

Pour le reste, on oscille entre morceaux déjà connus qui permettent d'apprivoiser l'album plus vite ("Love Is a Rose", "Little Wing" et "Star of Bethlehem" - dont j'attends qu'on me dise en quoi le mixage diffère tant que ça de la version d'American Stars 'n Bars), et des chansons acoustiques vraiment bien tournées ("Mexico", jolie - et brève - chanson accompagnée au piano, ou "Kansas" dont le timbre évoque curieusement les années 1990 plutôt que 1970).

Homegrown est donc un incontournable album de Neil Young, même s'il ne s'agit pas d'un chef-d’œuvre (il compte tout de même d'emblée parmi ses dix meilleurs). Et même si on peut le préférer à Tonight's the Night (ce qui est mon cas), on comprend que ce dernier ait plutôt été choisi pour sortir en 1975.

Homegrown est dédié à Carrie Snodgress ("For Carrie").

-

P.S. : Pour le fan hardcore, hormis les titres qui sont effectivement sur l'album, Neil Young a fait son choix parmi un ensemble de 26 au total ; originaux ("Bare Foot Floors", "Homefires", "Give me Strength", "Carmelina", "Lookin' for a Love", "Like an Inca", "Day and Night", "Hawaii", "Deep Forbidden Lake", "Daughters", "Pardon my Heart", "Bad Dream") ou rejetés de projets antérieurs ("Bad Fog of Loneliness" - rejetée de Tonight's the Night, ainsi que "Long May You Run" et "Love/Art Blues").
On trouve certains de ces inédits dans le volume 2 des Archives.

Muffinman
7
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le 28 juil. 2023

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