Manifeste Beach Goth en dix titres sur dix pouces.
Un joli petit objet que ce disque : dix titres couchés sur dix pouces de vinyle dans une pochette aux couleurs chaudes évoquant à la fois le psychédélisme et l'exotisme.
Une demi-heure à peine de musique pour un disque épuré, presque sans déchets, après le long mais néanmoins excellent "Are you In or Out ?"
La musique des Growlers est faite de bric et de broc, un salmigondis stylistique qui regroupe musique tropicale (le reggae par exemple), musique mexicaine, musique surf, musique ouestèrne et musique psychédélique.
Ce mélange riche et audacieux porte le nom de "Beach Goth", style dont les intéressés sont les inventeurs, qui occupe désormais une place importante dans le rock californien actuel, ou dans le rock indépendant en général.
Rien à voir avec ce que fait Wavves qui a utilisé ce thème à l'envi ("Beach Goth", "Summer Goth", "Goth Girls", "California Goths", "Beach Demon", "Surf Goth"...) dans l'un de ses albums : aucune accointance grunge - si ce n'est la façon dont ils se vétissent - chez les Gowlers. Aucune grosse guitare saturée.
Nos Growlers semblent avoir influencé un bon nombre de groupes actuels : les Allah Las ou les Mystic Braves pour les plus notables, en Grande Bretagne Dead Coast, et Sapin en France.
Il semblerait que le groupe végétait dans son bus de tournée avec une pléthore de démos enregistrées dans leurs poches trouées au moment de l'essor de la nouvelle scène californienne, et que, pour ne pas demeurer en reste, ils sortirent leur premier album.
Une bonne partie des morceaux que l'on retrouve dans "Are you in or out ?" et "Hot Tropics" avaient en effet déjà été enregistrées auparavant : vous pouvez le vérifier dans les "Couples" et dans "Greatest (s)Hits".
D'un point de vue esthétique c'est encore plus farfelu : les membres du groupe sont coiffés et vétus n'importe comment, affectionnent les couleurs éclatantes et chatoyantes ainsi que les maquillages grotesques. Ils mènent une vie de vagabonds, de troubadours allant d'une ville à l'autre, dans un bus chamarré de peintures hallucinées, dont les fenêtres sont garnies par des tentures de lupanar.
Une sorte de cirque ambulant qui serait sorti de l'imagination d'un Tim Burton égayé par le rhum.
Le concept de beach goth est d'allier le gothique au tropical, ce qui correspondrait au niveau de l'art graphique aux dessins de José Guadalupe Posada.
La voix du chanteur, sorte d'Edgar Allan Poe en chemise hawaïenne, peut être comparée à un bellement, tant elle est nasillarde, mais elle oscille, vibre sans complexe ni défaillance dans les sommets comme dans les sombres gorges de la gamme. C'est l'une des meilleures voix du rock contemporain, elle émeut avec efficacité, et invite volontiers celu qui l'écoute à la rêverie mélancolique. Dénuée d'autre artifice qu'une puissante réverbération à ressorts, qu'il utilise généralement, très poussée (il jongle parfois en concert avec deux micros), pour des chœurs en A sur des passages instrumentaux.
La batterie joue variablement des rythmiques reggae et des rythmes surf, appuyée par une basse sobre et nonchalante, et souvent étoffée par des percussions tropicales.
Les mélodies sont assurées par un orgue fantomatique et une guitare (parfois deux, celui qui tapote sur son orgue électronique est aussi équipée d'une guitare) dont le son est cristallin (clair et aigu) et bourré d'écho court ou de reverbe longue.
En passant en revue les dix pistes de ce dix pouces, j'ai bien du mal à trouver quelque chose à jeter, même les interludes - le plaintif "Nosebleed Sun", la valse langoureuse "The Moaning Man From Shanty Tow" et l'instrumental final "Hula Hula Hideout" - sont bons.
Parmi les dix chansons, on compte au moins quatre tubes : "Graveyard's full", hymne écologiste pessimiste et sautillant, "What it is", "Sea Lion Goth Blues" et "Badlands".
Les deux points faibles de ce petit « long jeu » (LP) ou de ce grand « jeu étendu » (EP) seraient, si l'on en doit trouver, les deux avant-dernières pistes : "Let it Known" et "Underneath Our Palms".
Pour conclure, énonçons des évidences qui ne sauraient être discutées ; Hot Tropics est un disque qui sied parfaitement aux ambiances estivales, danses nocturnes et rêvasseries diurnes. C'est un parfait condensé de la musique des Growlers (les deux véritables albums, le premier sus-cité et Hung at Heart, pèchent par leur longueur), c'est aussi l'un des disques majeurs de l'année MMX et de la décennie actuelle.
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