Deux groupes, deux esthétiques différentes de la fête foraine. D’un côté M83, dont l’électronique suave et intimiste a progressivement laissé sa place à une pop synthétique et épique, de l’autre les gais lurons d’Electric Six, déjà vieux briscards et représentants immobiles d’un rock gras du bide teinté de sons eighties. La morale qui ressort de cette dichotomie entre la constance peinarde (Electric Six) et l’évolutivité m’as-tu-vu (M83) de leurs derniers albums, c’est qu’on ne s’improvise pas forain, on l’est dans l’âme. Ou pas.

Malgré le jeune âge d’Antony Gonzales, M83 est déjà ce que l’on appelle un vieux groupe. Dix ans d’existence, déjà un remaniement de personnel – son binôme Nicolas Fromageau a quitté le navire après leur chef d’œuvre Dead Cities, Red Seas and Lost Ghosts (2003) –, et surtout un sens de la remise en question qui ferait rougir les trois quarts des artistes sur le circuit. Cette évolution ressemble de près ou de loin à une émancipation, comme si Gonzalez avait voulu sortir d’un coup du carcan réducteur du musicien indé pour embrasser les années qui lui ont fait aimer la musique, celle des années 80. Malheureusement pour nous auditeurs, plus le temps passe et plus le français, exilé aux Etats-Unis, se rapproche du côté vulgaire de la Force après avoir exploré avec brio son aspect évanescent et puissant (cf. le superbe Before the Dawn Heals Us sorti en 2005). Bref, c’est désormais l’hégémonie des synthétiseurs pompiers, et plus généralement de l’accumulation d’effets, d’instruments, au détriment des sensations.

D’ailleurs, dans cette logique d’abondance excessive, Hurry Up, We’re Dreaming est un double album. Carrément. On sait l’exercice dangereux, facilement indigeste, et malheureusement le disque de Gonzalez n’échappe pas à la règle : trop de morceaux, trop de lyrisme balourd, trop de références (guitares ultra-léchées, claviers et chœurs qui dégoulinent de bons sentiments, du pur eighties)… Si bien que très vite le grand huit se révèle plus nauséeux que sensationnel. Finalement Hurry Up, We’re Dreaming confirme ce que l’on pouvait déjà déceler en filigrane sur Saturdays=Youth (2008) : le français est dans le « bigger than life », tout est clinquant, de la production qui brille en passant par les invités de luxe (Nika Roza Danilova de Zola Jesus) jusqu’à cette envie, irrépressible, semble-t-il, de faire dans l’hommage opulent à ses années chéries. Gonzalez semble vivre son rêve américain un peu naïf, au sens figuré, via sa musique, comme au sens propre : le succès qu’il rencontre là-bas est colossal. Tandis qu’il est encore dans un relatif anonymat en France… Son américanisation ne serait-elle pas trop visible d’ici ?

En comparaison, les besogneux Electric Six (un album par an depuis l’incendie Fire et son single diabolique « High Voltage » en 2003) cuisinent toujours la même tambouille, en étant très lucides vis-à-vis de leurs productions : rien d’original, si ce n’est leur théâtral et génial chanteur. Et l’on peut dire que Dick Valentine joue dans un registre parfaitement unique : il joue plus qu’il ne chante, tous les sentiments chez lui sont exacerbés, comme s’il était en permanence branché sur 2000 volts. Un vrai personnage de cartoon qui fait vibrer les chansons du groupe d’une démence salvatrice. Il faut le voir le monsieur faire sa série de pompes sur scène entre deux couplets, un grand moment ! Du côté de la musique on peut dire que la fascination du groupe pour le mauvais goût, la facilité, est assez surprenante. Mais voilà ça fonctionne à plein, disque après disque ou presque on se surprend à prendre son pied, à remuer la tête sur ces petites chansons puissantes et énergiques, bien ficelées. Et pourtant là aussi ça déborde, entre rythmiques frénétiques, salves de piano bar, synthés bubble-gum et riffs ou solo hardrock. Mais l’accumulation ne tue que rarement les chansons tant le sens du jeu y est palpable. Electric Six fait de la musique pour s’amuser et c’est tout à fait communicatif.

Voilà donc toute la différence : les Américains ont choisi d’être vulgaires mais drôles, quand Gonzalez couvre cette vulgarité d’un vernis peu reluisant, celui de l’adolescent transi et romantique. Ça ne prend pas.

Francois-Corda
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le 17 sept. 2018

Modifiée

le 12 juin 2024

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François Lam

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