Le site est de retour en ligne. Cependant, nous effectuons encore des tests et il est possible que le site soit instable durant les prochaines heures. 🙏

Ice Fleet
7.6
Ice Fleet

Album de Kauan (2021)

Figées dans le permafrost, des âmes engourdies se remémorent leur existence. Jadis guerrières des hautes mères de Sibérie, la glace les a rappelé au néant. Le froid polaire a parfaitement conservé leurs navires. Leurs visages sont crispés par cette peur ancestrale des eaux glacées. La mort agrippe encore leur peau poudrée de givre. Ce miroir est trompeur, car aucun souffle n'anime désormais plus ces carcasses grises. Transcendées par le froid, les âmes esseulées pleurent à chaudes-larmes le lourd poids du passé.


Comme une passerelle entre les trilles éthérées du post-rock et la noirceur d'un metal animiste, Kauan traverse lui aussi les âges. Avec larmes et désolation. La beauté mélodique de ces tisseurs d'atmosphères n'est plus à démontrer. En 15 ans et 9 albums toujours plus aboutis et sensibles, Kauan a insufflé un peu de cette âme russe dans les tourments de la musique : une poésie noir d'encre aux douces clartés mélancoliques.


Avec Ice Fleet, le groupe incarné par Anton Belov s'enivre une fois encore de froid, de désespoir et de mystères, relatant cette fois la découverte stupéfiante, au Nord de la Russie, d'une flottille de navires emprisonnée par le permafrost. C'était en 1930. Près de cent ans plus tard, les fantômes du passé hantent de nouveau la surface du globe, dans une suite d'accords et d'ambiance à faire pleurer les déserts.


Les sept titres d'un seul et même périple s'agitent avec une émotivité exacerbée et un sens de l'épique puissamment inspiré. Le son de Kauan a une portée universelle et cinématographique qui s'étend ici encore plus sauvagement qu'auparavant. Evocatrice et diversifiée, la partition de Kauan est un voyage sophistiqué vers les tourments et la magie des forces élémentaires d'une nature omnipotente, vers la bravoure et la petitesse humaine, vers son passé glorieux et pathétique à la fois.


Bercé par ses douces sonorités folk, Ice Fleet se veut aussi féérique et rêveur (Enne, Kutsu) que ténébreux et solennel (Maanpako, Raivo). Créature bicéphale et enivrante, Ice Fleet est une gemme qui unit la grandeur céleste et le fracas brut. Une approche très noir et lente, typiquement funeral doom, se meut et se mélange avec les hauteurs tourbillonnantes du post, du black atmo, d'une musique qui transcende finalement les genres pour toucher droit à l'émotion, toujours à la limite du pathos et du kitsch. Le temps d'une voix féminine et naïve, de quelques notes de piano agitées comme dans un rêve, d'accords démesurément amples, on s’enivre, on s'ouvre, on tangue avec ces incroyables bruiteurs de vie.


Et quand le périple s'achève, la gorge se sert un peu plus encore. On sent alors que l'on vient de léviter, nous aussi, parmi les âmes pétrifiées de ce froid arctique.

FlorianSanfilippo
9

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Ombres et Lumières - Un top albums de 2021 et Les meilleurs albums de 2021

Créée

le 27 mai 2021

Critique lue 195 fois

3 j'aime

3 commentaires

Critique lue 195 fois

3
3

Du même critique

Mestarin kynsi
FlorianSanfilippo
10

La griffe du maître

Oranssi Pazuzu, c'est une plongée toujours plus intense dans les ténèbres du mental, et une montée toujours plus folle dans l’intuition créatrice. Voilà ce qui pourrait définir la trajectoire des...

le 13 mai 2020

12 j'aime

1

The Last Will and Testament
FlorianSanfilippo
10

Passation syncrétique

Derrière les rideaux déchirés de l'immense pièce transparaît un filet de lune sale. Opaque comme un passé insoupçonné, épaisse presque de tant de tristesses accumulées, elle brille et assombrie...

le 24 nov. 2024

11 j'aime

1

Simulation Theory
FlorianSanfilippo
5

Stadium Syndrom

La lente désagrégation des génies du rock alternatif, volume 4. La bande de Bellamy pique cette fois-ci sa crise de la quarantaine, elle ressort ses vieilles cassettes de Nu Wave, ses jeux-vidéos...

le 10 nov. 2018

11 j'aime

3