"Idiot Prayer", live paradoxal – Nick Cave tout seul, sans musiciens, sans public – a des chances de rester l’un des plus beaux enregistrements « live » (si on ose dire) enregistré en 2020, pendant cette première année d’effondrement sociétal – culturel au moins, économique aussi, psychologique sans aucun doute – dû à la pandémie. L’intelligence de Cave est de descendre le plus profondément possible au cœur de sa musique, réduite à la combinaison piano-voix, de manière à ce que les mots ne soient plus cachés par les artifices du cirque rock’n’rollien. En fait, par instants, même les mélodies – et on sait pourtant combien le talent mélodique de Nick Cave est impressionnant – semblent se dissoudre dans « l’exercice ».


Débutant par le texte parlé de "Spinning Song", "Idiot Prayer" désoriente un peu de prime abord, et ce d’autant que Cave a choisi de jouer très peu de chansons connues de son impressionnant song book : il faut attendre le huitième morceau pour écouter "Nobody’s Baby Now", le onzième pour l’incontournable "The Mercy Seat"…


En fait l’émotion ne nait vraiment qu’à partir de "Palaces of Montezuma", une chanson peu connue tirée du second album de Grinderman, et qui est totalement transfigurée par le dépouillement extrême auquel elle est soumise : c’est sans doute à partir de ce cinquième morceau que le projet de Nick Cave prend tout son sens, et toute sa dimension. Oui, à partir de ce moment, Nick Cave nous tient au creux de sa main, et ne va plus nous lâcher : le terrible et déchirant "Girl in Amber" enfonce le clou dans notre cercueil, dont nous ne pourrons plus nous échapper. Rescapé également du volet Grinderman de la carrière de Cave, "Man on the Moon" est une splendeur inattendue.


Nombre de chansons laissent entendre le chagrin du père brisé par le deuil, mais également la sérénité fragile d’un homme vieillissant – "Waiting for You" est encore plus bouleversant que dans "Ghosteen" : la voix de Nick Cave trahit ici le passage des années, enfin, et confère à nombre de morceaux une profondeur que nous ne percevions pas forcément avant.


"The Mercy Seat" n’est évidemment plus ici le tourbillon infernal d’horreur qu’il a été de longues années durant dans sa version scénique possédée, mais il fonctionne toujours aussi bien. "Jubilee Street" est un bonheur d’intensité, entre ce texte magnifique et sa mélodie pourtant réduite ici au strict minimum, et nous rappelle combien "Push the Sky Away" a été une œuvre maitresse, et bien sûr comment Cave est capable de véhiculer des émotions brûlantes sur scène (et oui, même devant une salle vide !) : une merveille. Les 7 minutes de "Higgs Boson Blues" passent ensuite comme un enchantement, encore un texte superbe dont on apprécie plus que jamais l’intelligence et la créativité (Hanna Montana !)…


Malgré la force de "Jubilee Street", c’est "Into My Arms" qui remporte le titre de « sommet absolu » de "Idiot Prayer" : joué ici dans une version saisissante, cette chanson d’amour sublime – écrite pour PJ Harvey ! – justifie sans aucun doute à elle seule l’achat de ce double album a priori austère : comment l’écouter sans en avoir la gorge serrée, sans que les larmes ne montent aux yeux ?


"Papa won’t leave You, Henry" prend lui aussi une profondeur inédite dans cette interprétation nue, presque opposée à la violence radicale que ce titre emblématique a en général sur scène lorsque les Bad Seeds se déchaînent… ce qui ne signifie pas qu’il en devienne moins immédiatement efficace.


Et "Idiot Prayer" se clôt logiquement sur deux chansons plus intimistes, refermant de manière un tantinet plus sereine ce catalogue de splendeurs.


Il faut avouer que l’écoute de l’album en entier, d’un seul jet, peut s’avérer une véritable épreuve émotionnelle, tant le mélange de tristesse et de profondeur existentielle est parfois… pesant, mais, par petites doses, "Idiot Prayer" peut au contraire fonctionner comme un remède au désespoir : sa beauté absolue nous aide à croire en un retour possible à la Vie. Comme si Nick, qui a vécu le pire, était désormais le meilleur guide vers la lumière…


[Critique écrite en 2021]

EricDebarnot
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le 17 janv. 2021

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Eric BBYoda

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