I’m With You par Benoit Baylé
Blood Sugar Sex Magic, Californication, I'm With You. Le chef d'oeuvre, le tournant, le trépas. Les beaux jours des Red Hot Chili Peppers sont loin. Les mélomanes raffinés veillent aujourd'hui sur la triplette Mother's Milk / Blood Sugar Sex Magic / One Hot Minute avec la bienveillance résignée du nostalgique ayant fait son deuil. Depuis le retour de John Frusciante à la six-cordes en 1997, la formation ne cesse de régresser vers une pop stérilisée de toute audace. Impertinence, désinvolture, inconvenance, ne sont-ce pas là les ingrédients qui ont fait des RHCP un groupe à part pendant la majorité des années 90 ? Enlevez tout ce sel d'insolence et rajoutez une bonne dose de poivre de vieillissement et vous obtiendrez la recette de la formation dans sa version 2011 : un ramolissement irréversible pour des créations inefficaces voire inutiles.
Les faits pré-I'm With You sont les suivants : touché par un éclair de clairvoyance, Frusciante décide de quitter le navire en plein naufrage, après la tournée ayant suivi Stadium Arcadium, pour divergences artistiques. Quiconque s'est déjà penché sur la discographie solo expérimentale et marginale du guitariste comprendra à quel point ses préoccupations semblent à des lieues des monotones sonorités pop qu'il assène pourtant avec ses compagnons depuis déjà dix ans. Peu avant la sortie de l'album, les enthousiastes les plus aveuglés avancent que ce départ va changer la donne et déprécier les facultés des californiens. Au contraire, l'arrivée d'un nouveau membre dans un groupe trentenaire peut apporter un souffle novateur ; après tout Frusciante lui même a participé à l'élaboration des navets By The Way et Stadium Arcadium. En effet, si l'exposition radiophonique, pléthorique et outrancière, des célèbrissimes singles "By The Way", "The Zephyr Song", "Dani California" ou "Snow (Hey Oh") indique un succès commercial substantiel, il n'en est rien d'un point de vue créatif. Avec le départ de John Frusciante, les RHCP ne risquaient pas de perdre leur art - cette question est réglée depuis Californication, tout le monde l'aura compris - mais leur exploitation lucrative.
Ainsi peut être tiré le premier constat quant à ce I'M With You : d'un angle purement financier, nul doute que la collaboration entre le groupe et le remplaçant Josh Klinghoffer sera fructueuse. Déjà le premier single "The Adventures of Rain Dance Maggie", matraqué sur les ondes depuis le début de l'été, annonçait une surenchère d'artifices stériles et peu convaincants : amorce par Flea d'un riff de basse assez catchy quoique prosaïque, puis couplet au chant ordinaire, suivi par un refrain gentillet dénué d'âme et d'envie, puis retour au couplet, et ainsi de suite... Un titre taillé pour boniments radiophoniques. "C'est le principe d'un single", rétorqueront les plus miséricordieux. Certes, sauf que tout le reste de l'album emploie cette configuration. Aucune digression, aucun écart de conduite, aucune expérimentation, aucune tentative d'innovation, rien d'excitant n'est à signaler dans I'm With You. Tout est calibré pour un éventuel passage radio, même les parties de basse de Flea.
Il va de soi que cette même basse est primordiale dans un groupe de rock orienté funk. Cependant, des moments d'allégresse propres à Flea comme "Aeroplane", "Funky Monks", "Falling Into Grace" ou "Apache Rose Peacock" ne sont possibles que si les autres membres du groupe participent au groove général. Dans I'm With You, non seulement le reste de la formation, exténué, est incapable de suivre le mouvement, mais en plus Flea plonge soit dans la surenchère ("The Adventures Of Rain Dance Maggie", "Look Around", "Ethiopia", "Factory Of Faith"), soit dans l'oubli ("dance, Dance, Dance", "Meet Me At The Corner", "Police Station"). Toujours dans le mauvais goût.
Ni Antony Kiedis, chanteur médiocre incapable d'imaginer une ligne de chant un tant soit peu attractive (ces refrains...), ni Chad Smith, ramolli sur ses fûts (peut-être harassé par son autre projet Chickenfoot, vers lequel il ferait d'ailleurs mieux de retourner au plus vite), ni le petit nouveau Josh Klinghoffer ne semblent capables de relever leur petite entreprise artistique. Ce dernier se révèle plus guitariste rythmique ayant découvert une pédale d'effets que véritable soliste de talent : aucun soli digne de ce nom n'est à signaler, et le charisme du garçon laisse à désirer. En bref, I'm With You signe la continuation régressive mais logique des trois précédents albums. Les groupes californiens ne cessent de décevoir en cette année 2011 : nos lecteurs les plus assidus feront d'eux-même le parallèle avec la triste décadence artistique d'Incubus.