S’il y a un film de science-fiction qu’on attendait cette année, c’est bien Interstellar. Après visionnage, il s’agit sans nul doute d’un des plus grands films de Christopher Nolan, mais quand est-t-il de l’œuvre musicale ? Epaulé d’Hans Zimmer pour la 5eme fois, les thématiques qu'il expose lors du film, ainsi que le charisme naturel de ses acteurs représentent plus que du pain béni pour une Bo potentielle. Hans Zimmer beaucoup critiqué depuis 5 ans pour sa vision trop commerciale, et par conséquent simpliste de la musique de film, suscitait les craintes de beaucoup d’amateurs de Bo. Surtout celle de se retrouver face à une œuvre insipide, calquée sur ses œuvres précédentes, à la structure orchestrale identique et sans réelle identité créative au niveau des motifs. A-t-il su nous faire mentir ? Et ouiiiiiiiii !!
Non, vous n’entendrez pas de percussions zimmeriennes lors des scènes d’envol, non vous n’entendrez pas de vuvuzelas pendant les plans larges : cette Bo peut dans l’absolu être relié à celle d’Inception, mais elle restera sa lointaine cousine : ici, Zimmer expérimente une nouvelle voie, celle de l’exploration stellaire.
Ce qu’il faut souligner, c’est son intelligence de construction, pas forcément au sens technique et harmonique où on l’entend, mais dans celui de la cohérence par rapport aux émotions que le film veut nous transmettre : couplée avec le charisme des acteurs, la scène de séparation de Cooper et Murphy est magistrale. Le choix des sonorités et des artifices sont d’une justesse sans faille, parvenant à saisir l’essence du film : l’ampleur de l’espace, la notion de temps (le premier amarrage à la station est magnifiée par « The Wormhole », qui tient littéralement le spectateur en haleine tant la notion de temps semble disparaître), le dilemme déchirant que doit subir Cooper, ...
Au niveau des motifs, 5 principaux s’en dégagent (il faudra par contre attendre 6 mois que je revois le film pour que je les associe à des idées plus concrètes ^^), dont au moins deux sont reliés au rôle de père que joue Cooper : magnifiquement restitués tout au long du film, ils savant être déchirants et mélancoliques, tant leur lenteur et leur interprétation aux cordes/piano permet de vivre chaque note, et de ressentir chaque intervalle (je pense notamment à la magnifique altération accidentelle du motif principal entendu dans « Stay », choquant l’oreille de la plus belle des manières, mais passons ^^). Quand je dis ressentir chaque intervalle, c’est pour une bonne raison : en règle générale, quand on arrive à retenir un motif très longtemps, c’est parce qu’il comporte une (ou plusieurs) « trouvaille » particulière, un effet de style à la fois percutant et remarquable (rythme, intervalle mélodique particulier, bref) qui fait qu’on se souviendra toujours du motif. Par exemple, on retient le thème d’Indiana Jones grâce à ses 3 premières notes qui lancent la 4eme, le motif de Dark Vador grâce à la même note qui est répété plusieurs fois, celui de Retour vers le Futur grâce à son rythme si particulier, ... ici, chaque motif possède bien sûr une seule et unique belle « trouvaille », mais tout est calculé pour nous la faire ressentir au maximum (cela paraît évident et systématique, comme démarche, mais y arriver est tout un art, une véritable alchimie entre tous les éléments qui constituent une musique, et elle est loin d’être présente à chaque fois). Tout ça pour dire qu’il était ici pertinent d’utiliser des motifs simples, axé sur un seul effet de style, car leur rythme, leur lenteur d’exécution, les instruments qui l’interprètent et ceux qui définissent l’ambiance (enfin, tout, quoi ^^) appuient énormément l’effet de style en question pour un résultat des plus efficaces (chaud à expliquer sans extrait à l'appui =) ).
J’insiste sur cette lenteur d’exécution, car la notion de temps est vraiment l’une des notions clés de cette Bo (ceux qui auront vu le film l’auront encore plus compris, puisque c’est l’un des principaux enjeux du film ^^) : en effet, à la première écoute (que ce soit de la Bo, ou lors de la vision du film), vous aurez l’impression d’un minimalisme ambiant, d’un style vraiment épuré et sobre. Sobre, ça l’est assurément, mais épuré, certainement pas : le minimalisme apparent n’est qu’une illusion, et on s'en rend vite compte en tendant l’oreille ; les composantes sont bien plus nombreuses.
En effet, chaque sonorité est polie, comme à l’habitude chez Hans Zimmer, mais ici, l’intention est légèrement différente : provoquer une émotion particulière chez le spectateur, certes, comme à l’habitude (objectif sur le moment-même, à court-terme), mais surtout l’immerger dans une ambiance beaucoup plus profonde, et marquante, efficace sur le long-terme (tout le film, toute la Bo). Ici, on recherche vraiment l’extase. Parler d’orchestration semble difficile, étant donné que l’on ne relève que très peu d’instruments au sens conventionnels, mais bon. Il y a bien sûr :
- ce fond sonore habituel, indescriptible tant la forme semble insaisissable (mais si vous savez, on l’entend souvent chez Zimmer ! On n’entend que ça les 40 premières secondes de « S.T.A.Y. »),
- ces percussions variées, régulières comme un métronome ou une montre (le temps inarrêtable qui s’écoule est palpable dans tout le début de « Coward »). Elles n’en ont pas l’air, mais ces pulsations régulières forment toute la structure de ces musiques, et surtout l’illustration de la nouvelle démarche de Zimmer. En effet, il s’agit d’une toute nouvelle utilisation des percussions chez lui, minimaliste ET pertinente : les motifs monorythmiques viendront se caler parfaitement sur les temps au moment voulu, et selon le couplage, iront de la sensation d’extase et de contemplation (état reposant), à un ressenti beaucoup plus fataliste de dynamique irréversible (tension face aux enjeux, surtout dans « Coward »). La Bo évolue d’ailleurs selon ce schéma-là.
- des sonorités artificielles aigües parfois pétillantes et accompagnées de cordes (« Coward »), parfois lentes et appuyées (de deux manières différentes, elles transcendent le motif dans « S.T.A.Y. », et dans « Afraid of Time »).
- un piano intelligemment exploité. Je dis intelligemment car il me fait habituellement hurler à chaque fois que je l’entends dans un film récent tellement il est placé en mode random/cliché (kofkofTwilighthumhum)). Non, ici, ses fonctions sont multiples, pulsations, soliste pour certains motifs, accompagnement, couplage avec les cordes dans « Day One » et « First Step », ...
- et bien sûr cet orgue stellaire, dont l’origine peut être trouvée dans l’œuvre de Philipp Glass, notamment la Bo de Koyaanisqatsi. Cet orgue, mais c’est l’idée maîtresse de l’ensemble ! Ce n’est pas un orgue d'église, car les sonorités naturelles d’un orgue authentique (dans Toccata and Fugue, ou Davy Jones, par exemple) auraient semblé beaucoup trop agressives et brusques. Ici, les notes sont polies, fluides, leur attaque est adoucie. Il est beaucoup plus suave, et permet de procurer cette sensation d’ampleur, et de contemplation de l’infini sans pour autant se montrer oppressant et excessivement dramatique. Parfois posé sur un seul accord pendant plus de 15 secondes (il pose une situation dans « Dreaming of the Crash » par exemple), parfois très dynamique dans « Coward » lorsque les évènements s’enchaînent, on remarquera que des motifs intérprétés à l’orgue seront restitués tout au long de la Bo à l’arrière-plan (notamment dans « Coward »), là encore de manière très mielleuse (ce que ne saurait faire un orgue naturel), procurant une sensation des plus atypiques lorsqu’on l’ajoute aux percussions, et aux nombreux effets sonores (« Dust »).
Sombre et sinistre à plusieurs moments (cordes traînantes, au motif lent et chromatique, jouant beaucoup sur les demi-tons et les intervalles spécifiques, comme dans « Among The Stars » ou « I’m Going Home »), elle peut même se révéler angoissante à l’image de la scène d’amarrage du Docteur Mann (accélération soudaine). Par conséquent, on pourrait reprocher à cette Bo d’être limitée dans sa forme, et dans son ambiance qui cadre l’ensemble (ralentissement clair et net de la densité d’arguments), mais c’était le choix à faire pour conditionner pleinement le spectateur sur toute la durée, et toujours le faire évoluer dans la même direction. La simplicité est toujours le mot d’ordre, certes, mais elle est ici mise à profit de manière beaucoup pertinente que dans ses précédentes compositions.
Ainsi, Hans Zimmer tire enfin un excellent parti de son attrait pour la simplicité, en lui donnant une force évocatrice énormément valorisé par le travail sur le son. La Bo s’axe autour de motifs simples, mais travaillés, délivrant tous ce qu’ils peuvent nous offrir grâce aux instruments remarquablement exploités. L’innovation est là, l’ensemble est tout simplement hors du commun : il offre une ambiance envoûtante, nous transportant comme dans une autre dimension. Très plaisant de voir le compositeur américano-allemand se rapprocher du niveau de ses grandes performances d’antan, en empruntant un tout autre chemin.