La langue de Molière possède moult sournoiseries. Nombreux sont les doutes, les questionnements, les problématiques. Si l’accord avec l’auxiliaire avoir est le pire ennemi des utilisateurs du français, ce Satan du dialecte hexagonal a de nombreux petits sbires démoniaques à sa solde. Parmi eux figure « placer la barre haut », est-ce qu’on dit « placer la barre haut », ou « placer la barre haute » parce que bon, après tout, barre est un mot féminin, donc il faut l’accorder avec l’adjectif « haut », non ? Eh bien non, ici, « haut » est un adverbe, et les adverbes sont invariables.
Soulagé, je peux maintenant affirmer que Manowar, avec Battle Hymns, avait placé la barre haut, surtout grâce à Dark Avenger et Battle Hymn. Son successeur, nommé Into Glory Ride, doit donc tenter, à l’aide de ses peaux de bêtes, ses slips en fourrure et ses glaives en papier mâché (la pochette vaut clairement le coup d’œil), de grimper les échelons pour arriver au moins à égaler cette fameuse barre haute. (Là, c’est la barre qui est haute, c’est un adjectif, on peut accorder ! On a placé la barre haut, donc la barre est haute ! Bon…).
On commence l’album avec des gémissements lascifs féminins. Une femme prend du plaisir à copuler avec un mâle viril. Puis sans prévenir, un bruit menaçant résonne : ce sont les parents de la femme qui s’indignent : elle n’a que seize ans ! Le mâle viril, qui balbutie quelques poussives excuses (Hé ! Mais elle était d’accord !) se fait chasser séance tenante par le père de la jeune fille. Pour toute réponse, le brave, sûrement encore dénudé, s’esclaffe comme une hyène.
La chanson Warlord peut ensuite débuter.
L’énergie brute et le tempo rapides sont toujours au rendez-vous, on retrouve également le chant agressif et puissant d’Adams, la basse clinquante de DeMaio, la guitare aux solos virevoltants de Ross, tandis qu’un nouveau batteur fait son apparition : Scott Colombus. Je ne suis pas percussionniste pour un sou, je ne saurai dire quel changement technique il apporte, mais en ce qui me concerne, je ne décèle aucun changement dans le martèlement des fûts par rapport au premier album.
Là où Into Glory Ride se distingue ensuite de son prédécesseur, c’est au niveau du tempo qu’il adopte sur le reste des chansons : un tempo plus lent, plus modéré, pour des morceaux moins hargneux et plus sombres, voire carrément épiques en ce qui concerne les deux derniers.
Secret of Steel est un peu mollassonne et peine à marquer les esprits. Elle fait partie de ces chansons de Manowar que je connais bien pour la seule et unique raison que j’écoute très souvent les albums en entier. Elle est là, le lecteur CD (écouter des CD en 2022 est totalement branché et dans l’air du temps) la diffuse, donc je l’écoute et je la chantonne, en essayent de me souvenir de quelle sera celle qui va suivre. Dans ce morceau, on dirait que Manowar se cherche, qu’ils essayent d’emprunter un sentier dans lequel ils avancent à tâtons. Adams crie pour crier, Ross joue vite pour jouer vite, seul le thème est pertinent avec l’univers de Manowar, surtout quand on juge de manière rétroactive. Une chanson sans identité réelle.
Gloves of Metal confirme les bases du groupe et le virage pris sur cet album : un tempo modéré, un thème guerrier aux paroles mystiques, une basse lourde et mordante soutenue par une batterie à la force tranquille pour l’élaboration d’un riff qui cogne comme un marteau sur une enclume, une guitare rapide et aiguë pour ses nombreux solos (on notera l’utilisation du tapping) et un Eric Adams plus calme au chant. Un morceau sympathique, mais Manowar et la sympathie, ça ne va pas vraiment de pair, le grandiose et le majestueux lui siéent mieux. Manowar n’est pas le petit toutou sympathique avec qui l’on joue, c’est la créature mythologique immortelle que l’on admire !
Gates of Valhalla marque le début d’un thème qui sera récurrent et très présent dans la musicothèque du groupe : la mythologie nordique. Ils y consacreront même un album entier des années plus tard. Un peu à l’instar de Dark Avenger, toutes proportions gardées, le morceau démarre doucement. Eric Adams nous montre encore l’étendue de ses capacités de chant en nappant délicatement sa couleur vocale par-dessus les calmes arpèges de basse de DeMaio, puis le tempo s’accélère vivement, les instruments revêtent leurs voiles de plomb et Manowar retrouve le son qui lui est inhérent : rapide, lourd et puissant, le mélange entre la vélocité d’un fouet et la pesanteur d’une masse contondante. Le morceau dure plus de sept minutes, sept fois soixante secondes au cours desquelles on est littéralement transporté par la noblesse du guerrier Nordique qui regarde la mort en face en continuant de se battre malgré le sort funeste certain qui l’attend. Digne, fier, intrépide, Eric Adams interprète majestueusement le Viking s’apprêtant à effectuer son voyage sans retour. Lyrisme, poésie, noblesse et grandeur se mêlent pour illustrer l’âme inébranlable d’un guerrier qui ne craint pas de pousser les portes du palais du trépas, et qui est au contraire rempli d’honneur à l’idée de rejoindre Odin dans le Valhalla. Ses dernières paroles sont monumentales « Behold the kingdom of the kings, Books of spells and magic ring, Endless knowledge endless time, I scream the final battle cry”. Même si c’est de l’anglais, donc une langue extrêmement nulle, ça arrive à être classe ! Les râles furieux qui suivent ajoutent encore de la grandeur au morceau. Une merveille.
Hatred suinte la colère, la rage et la soif de vengeance. Une sorte de petit frère démoniaque de la deuxième partie de Dark Avenger, qui a en commun avec son illustre aîné une profusion de colère vindicative assoiffée de sang. Mais là où Hatred se distingue de Dark Avenger, c’est au niveau du tempo, modéré tout le long, sans aucun changement. On sent vraiment une haine froide, un ressentiment profond et ancré, un désir assumé de se laisser consumer par les flammes voraces de la fureur vengeresse, une soumission à la froideur macabre qui achève de désintégrer la dernière once de bonté présente chez un être humain capable d’empathie. Là où Dark Avenger frappait, c’était par le côté brusque de la vengeance, le retour brutal du guerrier ressuscité qui ravageait tout ce qui appartenait aux responsables de ses crimes par une bourrasque infernale de violence, Hatred, c’est différent, c’est de la haine calme, réfléchie, les paroles funestes d’un être consumé par la folie. Ce morceau est une véritable perle dans laquelle Eric Adams est encore fantastique, son interprétation glace le sang, sauf peut-être au moment où il dit : « Je tue ton visage ! », ça, ça détonne (avec deux n), et ça en est drôle ! L’interlude vers le milieu de la chanson est intéressant : on ressent le mal-être de l’homme haineux, ces cris de colère et de désespoir tranchent avec les déclamations calmes et assumées des couplets. Un bijou dont la version jouée en concert est inénarrable, certainement parmi les trois meilleures interprétations sur scène que je n’ai jamais vues.
Revelation (Death’s Angel) aborde le thème de l’Apocalypse du Nouveau Testament, un thème épique pour un groupe épique. Porté par un rythme galopant, une batterie fracassante et une guitare assez furieuse et enragée pour évoquer la fin du monde, Eric Adams se range du côté de la Lumière et combat les forces de Satan pour le faire choir de son trône. Pour qui est un minimum familier avec ce chapitre du Nouveau Testament, cette chanson est purement jouissive. Chanter ces paroles de concert avec Adams est un ineffable bonheur, d’ailleurs cette chanson pousse la sensation de plaisir en proportion du volume sonore. Lorsqu’on la chante à tue-tête, c’est l’extase. C’est peut-être personnel, mais ces histoires bibliques des sept anges et leurs trompettes qui annoncent la fin du monde, de cavaliers de l’Apocalypse, ces évocations de l’Armageddon, des sept fléaux, de la Lune rouge et du ciel noir, de la Terre nettoyée par un flamboiement divin, ou encore des élus sauvés par Dieu, eh ben je trouve ça tellement grandiose, épique et classe que ça me met en transe ! Alors chanter ça avec Manowar, s’ajouter à la cavalcade furieuse symbolisée par la ligne de basse galopante de DeMaio, c’est de la jouissance pure ! Le meilleur morceau de l’album, ou du moins, le plus jubilatoire.
L’album se conclut avec Revenge (By the soldiers of Death), un petit frère à Battle Hymn, très proche au niveau de la structure épique, de la longueur et du tempo. L’introduction est sublime, soutenu par les tambours puissants et virevoltants de Colombus, Eric Adams exhorte les soldats à s’élever depuis l’enfer, une invocation parfaite suivi d’un riff lourd typique du groupe, nous encourageant, encore une fois, à livrer bataille. Mais le benjamin ne parvient pas à égaler l’aîné, il peine à détenir l’aura épique de son prédécesseur, à dépeindre la même puissance guerrière, il demeure trop mou et poussif pour pouvoir le regarder dans les yeux. Mais ce morceau surpasse toutefois Battle Hymn sur un aspect : l’interlude calme. Là où celle du premier album est niaise et souffre d’un changement d’ambiance trop brutal qui contraste excessivement et affaiblit l’implication de l’auditeur, celle de Revenge présente les mêmes défauts, MAIS, la fin de cet interlude, un cri fraternel tambour battant agit comme une dynamite et vient exploser la mièvrerie avant de laisser place à un solo typique de Ross. Le titre se clôt avec de magnifiques vocalises d’Adams, qui n’en finit plus de tutoyer les sommets.
Avec ce deuxième album, Manowar affine son registre en consolidant son imagerie guerrière et délaissant les esquisses purement heavy metal basique présent sur quelques morceaux du premier opus. Le groupe élargit ses capacités en s’orientant vers des morceaux aux tempos modérés, aux thèmes plus sombres. Les velléités guerrières mâtinées de mysticisme sont là. On continue !