Islands
7.3
Islands

Album de King Crimson (1971)

Vous savez, j'aime l'espace. J'aime l'Univers, j'adhère à cette idée de me retrouver dans un ensemble si énorme qu'un seul homme, aussi important puisse-t-il être, soit encore plus insignifiant que le néant. Bon, je ne vais pas m'étendre sur le sujet, mais par conséquent, j'aime quand un groupe fait une référence à l'espace. C'est encore plus jouissif quand il s'agit de mon groupe préféré, King Crimson. Quel dommage cependant que la nébuleuse Trifide illustre un album aussi mésestimé que Islands.
Rappel des précédents épisodes : après Lizard, Robert Fripp et Peter Sinfield se sont à nouveau retrouvés comme des cons dans un duo vidé de ses autres musiciens. Belote, rebelote et dix de der, il faut recruter. Du coup, la perte est relativisée par le retour de Mel Collins, ainsi que l'intronisation du batteur Ian Wallace et du chanteur Boz Burrell. Un petit quintette, donc, qui manque de bassiste. Un casting est organisé, et circulent notamment les noms de Rick Kemp et John Wetton. Le premier refuse, avant de rejoindre Steeleye Span, tandis que le second est chaud mais préfère partir chez Family. Ouaip, le bassiste-chanteur est déjà chaud pour l'âge d'or de King Crimson, mais se dit qu'en fait non, pas maintenant j'ai migraine. Du coup, Fripp a la flemme de chercher plus et dit à Burrell « écoute coco, tu vas apprendre la basse, et pas de discussions possibles ! ». Ainsi se forme le King Crimson de Islands.


Islands est un album qui se fait aussi romantique et précieux que Lizard, à ceci près que la direction musicale choisie est radicalement différente. En effet, King Crimson emprunte une voie plus orientée classique, en témoignent la présence du quatuor jazzy (Keith Tippett, Mark Charig, Robin et Harry Miller) ainsi que l'apparition en guest d'une soprano sur Formentera Lady, la longue ouverture de l'album, pour une musique plus faite de cordes que de vents. D'ailleurs, Islands signe le retour au premier plan de la guitare de Fripp, elle qui était si discrète sur Lizard.
Alors pourquoi Islands est-il si peu aimé ? L'une des raisons majeures reste le son. La production de l'album en a fait un opus peu résistant face au temps, ce qui est un peu rude. Mais ce n'est pas la seule raison, oh que non. N'en déplaise au regretté Ian Wallace, mais il ne fait clairement pas partie des meilleurs batteurs de l'histoire de King Crimson, du moins si l'on en juge par les travaux studio. Quant à Burrell, tout aussi regretté, il débute tout juste la basse, et il ne faut pas s'attendre à un miracle, son jeu est franchement basique. De facto, ce n'est pas la section rythmique qui brille le plus ici, mais bien les arrangements des musiciens additionnels et surtout le saxophone de Mel Collins. Ce dernier fait partie des rares membres de King Crimson à avoir pu voler la vedette à Fripp, qui cependant s'impose toujours, non seulement sur la composition dont il est le maitre incontesté, mais aussi à travers son jeu qui brille subtilement. Enfin, une dernière raison du désamour envers Islands est l'essence même des compositions, tellement perdues dans une nostalgie classieuse qu'elles en perdent en énergie brute, faisant du tout un album lent, voire neurasthénique pour les plus féroces détracteurs, à l'exception notable de "Sailor's Tale". Ah oui, "Sailor's Tale", ou l'heure de gloire de Fripp sur un classique définitif du groupe. Voilà le seul moment nerveux, le morceau rock de Islands, celui qui donne envie de taper du pied, avec de la tôle froissée en guise de guitare. Enfin, d'une part il est quand même longuet, et puis ne garder que "Sailor's Tale" en tête, c'est oublier l'essence même de Islands, et passer à côté de la beauté charmante de "Formentera Lady", de la pop cynique (et aussi misogyne) de "Ladies on the Road", et la mélancolie à fleur de peau du morceau-titre, seulement gâchée par une trompette un peu trop homérique. Oui, vraiment, si l'on est du genre sensible et que les cordes de "Prelude: Song of the Gulls" ne font pas peur, si l'on est prêt à accepter des morceaux qui tardent un peu à finir, alors oui, on pourra considérer Islands comme un bon album.
Cependant, si Islands est considéré comme un album plutôt piètre de la part de King Crimson, il se place dans une période bénie des fans, car voyant leur groupe fétiche repartir à l'assaut des scènes. C'est là que se trouve le vrai sel de King Crimson, là où le potentiel du line-up convoqué prendra toute sa pleine puissance, comme en atteste le chaotique Earthbound.
Walter_Smoke
7
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le 13 avr. 2019

Critique lue 643 fois

8 j'aime

Walter_Smoke

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