J’arrive
8
J’arrive

Album de Jacques Brel (1968)

On est en retard sur toi, Jacques...

Des cordes surgissent de derrière des plaines. La voix de Brel, porte-parole des paumés, au bord de la mort. Un personnage qui se crée instantanément. Et les vers monumentaux peuvent sortir, comme des fleurs balancés- ici, ce sera des chrysanthèmes, fleurs de prédilections pour bon nombre de vrais poètes. "J'arrive", sûrement sa meilleure chanson sur la Mort, à la fois complètement désespérée (Je n'ai jamais rien fait d'autre qu'arriver..., putain quelle phrase !) et pleine d'espoir (ça parle d'une vie auprès de la Faucheuse). Une introduction qui fait des fracas émotionnels, avec des arrangements majestueux et un propos éternellement humain. Nous sommes prêts à embarquer dans le nouveau grand voyage auquel nous convie cet artiste au cœur infini.

"Vesoul" fait un virage à 380°. Dutronc doit être hyper-fier d'apparaitre dans une chanson de Brel, qui plus est un grand tube ! Pour une fois, le Belge mets son texte en retrait pour laisser sa musique s'éclater. Bien sûr, le fameux Marcel, encouragé en pleine session de travail, et les autres qui sont à fond également, suffisent à procurer l'extase. Rarement on aura entendu des musiciens aussi heureux de jouer, et un chanteur autant en harmonie rythmique avec eux. Subtilement, derrière des airs purement fêtards, c'est un vrai hymne aux villes vivantes qu'il rend, tout en faisant sa pique habituelle aux femmes trop possessives. Total respect.
"L'Ostendaise" tangue entre la chanson française et la chanson de marin. Dans tous les cas, le chagrin et la mer ne font plus qu'un, tandis qu'une musique tellement douce qu'il me fait penser à une framboise déploie toute sa mélancolie. Elle a un peu vieillie, on va pas se le cacher. Les paroles, par contre, sont toujours impeccables, surtout pour ce refrain si représentatif de la dernière partie de la vie du chanteur. Il y a deux sortes de temps: il y a le temps qui attend, et le temps qui espère ! Et moi je suis en mer... Sans être la plus belle de l'album, elle berce doucement l'âme.
"Je suis un soir d'été" était la chanson dont Brel se sentais le plus fier. Elle retranscrit à la perfection une atmosphère d'été. Ce qui n'était pas une mince affaire, surtout que seules des guitares sèches sont utilisées dans la moitié du titre. Radicales, dures, et paradoxalement tendres, elles laissent place sans surprise à une soliste bouleversante. Tout est luxe, calme et volupté. Et puis, bien sûr, le talent de poète incroyable de ce cher Brel... Il n'y a rien à supprimer rien à ajouter. L'espace de 5 minutes, il réinvente la langue française, la contorsionne pour créer des images à la fois réalistes et surréalistes, des symboles qu'on connait tous, des souvenirs qui remontent. Un titre puissamment humain, totalement universel, d'une mélancolie indescriptible de beauté.
"Regarde bien, petit" n'est pas simple du tout. C'est davantage une mise en scène d'une scénette musicale en solo qu'une chanson. A travers la curiosité piquée d'un villageois pour un étranger mystérieux, c'est un croquis de la Société qu'il souhaite dresser. Les doutes se parsèment, les interrogations perdurent, jusqu'à la révélation d'un rapport fraternel conflictuel, insinuant que cela hante son narrateur. La musique on ne peut plus moyen-âgeuse, à la fois crescendo et constante, colle à l'ambiance que souhaite insuffler le grand chanteur. Regarde bien, petit... Il y a un homme qui part... que nous ne saurons pas... TU PEUX RANGER LES ARMES !. Et paf. C'était une chanson discrètement antimilitariste. Le "petit" ne feras pas la guerre, voilà pourquoi il ne savait pas qui était cet homme. La chanson se termine d'un coup sec de guitare, ce qui m'a toujours perturbé.
"Comment tuer l'amant..." (ironiquement le titre le plus long du disque, alors que c'est la chanson la plus courte) renoue avec ses anciennes habitudes comiques (sur ses trois derniers albums, on rigole vraiment pas des masses). Et il se lâche. Son interprétation vocale trouve ici un défi à sa hauteur. Racontant une histoire absurde de lâcheté et d'indignité, ridiculisant l'homme comme y'a pas, il prend plaisir à faire d'un ménage détruit un véritable vaudeville accéléré. La musique suit le délire du grand Jacques, imprévisible comme les propos du personnage. Il faut savoir que Brel a toujours consacré une chanson par disque à la religion catholique (surtout sur ses premiers albums c'est le cas de le dire), et c'est ici la seule où il se permets d'en rigoler ainsi. Ça fait du bien !
"L'éclusier" est plombant. Sérieusement plombant. Mais c'est une de mes chansons préférées de l’œuvre de Brel. Uniquement accompagnée d'un accordéon, très loin des flonflons habituels auquel on le prédestine, il est au contraire très funèbre et sonne déjà comme le requiem triste de toute une misère humaine. La mélodie est lancinante, même rampante, ivre de désespoir. Brel parlait des désespérés comme personne: l'ennui de son métier, le regard des autres sur lui, la guerre qui l'a un peu trop abîmé, les femmes qui ne parviennent pas à lui retirer son spleen perpétuel... Il est bouleversant de sincérité, il ne représente pas ou ne parle pour ces gens-là, il les vit et les incarne complètement. Une véritable claque que je consomme depuis des années avec un délice morbide.
"Un enfant" a un gros défaut: la musique est complètement foiré. Très vieillie, mièvre, elle a des prétentions classiques qui passent plus pour de la grandiloquence que de la musique. Toute la beauté du titre réside dans les paroles, si vraies et poétiques. Mais la meilleure chanson à propos des gosses que Brel n'ait jamais écrite est, incontestablement pour moi, "L'Enfance".
Il achève par... une chanson à boire. On retrouve le crescendo, si cher à Brel, qui a bâti sa signature. Il donne tout, emportant les tempêtes et les naufrages entre ses bras pleins de solidarités. Le texte n'est pas facile à comprendre, à cause de ses nombreuses références liées aux pays bien portés sur l'alcool (on voit bien ici l'ivrogne ! :D ). Le refrain est quand à lui on ne peut plus fraternel, et puissamment humain, encore et toujours: Ça sent la bière, de Londres à Berlin, Dieu qu'on est bien ! Ça sent la bière, de Londres à Berlin, donne-moi la main ! La fête bat son plein, comme si des chansons tels que "l’Éclusier" n'étaient pas passées. Une manière de dire qu'à côté des drames, il se passe toujours des instants comiques qui réchauffent le corps.
Le deuxième sommet de Brel après "Les Marquises", toujours aussi bluffante de qualité et de grandeur après toutes ces années. Oui, on est en retard sur toi, Jacques...

Billy98
10
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs albums de Jacques Brel et TOP 3 par albums, parce que je sais que c'est une question que vous vous êtes tous déjà posé

Créée

le 15 mai 2017

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Billy98

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