Beaucoup d'éléments du disque interpelle le passé de Léo Ferré. L'Espagne, les vieux amis, la Bretagne, la tristesse de l'amour (peut-être une référence discrète à Madeleine: qui donc réparera l'âme des amants tristes ?)... d'ailleurs, "les oiseaux du malheur" est un vieux texte. Enfin, la pochette représentant son fils, comme un nouveau départ, avec son regard incroyable de curiosité. Cela permet de dire que Léo fait ici ses adieux officiels à son passé, et se tourne vers l'Avenir. En tenant la main de son fils, en Toscane, avec sa dernière femme Christie pour laquelle il fera d’innombrables chansons d'amour par la suite. C'est comme si il avait pressenti que ce serait son dernier disque chez Barclay...
Autant le dire tout de suite, pour moi c'est son sommet, avec "la solitude". Et symphoniquement, il n'a jamais et ne fera plus jamais aussi beau.
Rien que "l'Espoir" est un chef d’œuvre. Texte pas facile à comprendre (surtout le "Manuel del Fallia !" final, on ne sait pas forcément que c'est un compositeur Espagnol) mais magnifique, et la musique est bouleversante. Juste un bémol pour l'ingénieur du son (?), durant la dernière partie du chant de Léo Ferré, lorsqu'il se pause, on entend fortement sa respiration... "la Damnation", on va pas se le cacher, personne ne pige ce qu'il dit. Et là, c'est regrettable. Mais la musique est telle que je m'y attache quand même. "Les oiseaux du Malheur", à l'instar de "Préface" dans "Il n'y a plus rien", est la seule chanson courte et facile à comprendre du disque. Et elle est vraiment poignante. "Ils ont des becs, ils ont des yeux perçants...". "Je t'aimais bien tu sais", incompréhensible aussi, est agréable, mais il lui manque du piquant. "Les amants tristes": durée certes impressionnante, mais on ne la sent pas passer, elle change d'atmosphères sans cesse, avec pour constance la Mélancolie ! Le texte, fleuve mais vivifiant. Bon, certains vers n'ont pour le coup aucun sens ("Demain, nous leur diront des hiboux qui s'envolent... regardons la phrase en face... hum... non, je confirme, ça veut rien dire!), cependant ils passent pour figurants dans ce texte incroyablement riche. Et l'interprétation de Léo est puissante au possible. "Les étrangers", un autre sommet chez Ferré. Rien que l'introduction aux cordes... pour moi, c'est la meilleure musique de sa vie, cette intro. J'en ai pleuré d'émotion la première fois que je l'ai entendue. Les paroles sont incompréhensibles si on ne sait pas que Léo Ferré et le marin anarchiste Lochu se sont rencontrés en Bretagne et ont passés toute une soirée ensemble, qui a profondément marqué Léo. Ils se sont d'ailleurs revus depuis. Mais quand on le sait, rien à dire, on savoure: "les marins, c'est marrant, même à terre c'est dans l'eau", "Et une crêpe en ciment, tellement il y a fourré des tonnes de sentiment"... La partition au violon se rajoute à l'aspect mystique de la chanson. On sentirait la mer d'ici. L’exclamation finale fait de nouveau hisser les poils. 6 minutes, c'est trop court. "Les souvenirs" a des paroles très intelligentes , et une musique sympatoche.
Alors, je vais quand même parlé d'une chanson, sortie en 45 tours à l'origine, mais qui mérite d'avoir droit à quelques mots: "Marie", adaptation d' Appolinaire. Il a un aspect plutôt novateur chez Ferré. Encore une fois, la musique est aérienne, et le poème est très beau, très bien mis en valeur.
Ce n'est clairement pas avec cet album qu'on peut découvrir Léo, ce n'est pas le plus accessible. Mais sa beauté est incontestable. Une larme discographique pure, aux reflets infinis.