Ils n’ont plus « Le Trac », celui qui intitulait leur premier EP. Ces deux frangins toulousains, fans de raps mais déçus de la frange française déchue, foulent l’arène. Sans demi-mesure : ils la battent du pied, livrant 16 titres inédits. Florent, l’aîné, a vingt-deux ans à peine et entraîne son comparse familial dans des thématiques casse-gueule. Le cordon aborde l’avortement, par exemple. Avec sobriété, l’un entonne le chant du cygne de l’embryon meurtri, l’autre de la mère éplorée qui n’a « ni raison ni tort ». Pas de morale, pas d’autre message que celui de préserver leur public d’un jugement trop hâtif. Le binôme se donne la réplique. Chacun incarne un personnage au couplet propre qui résonne comme une scène à micro libre où il s’exprimerait en un slam à cœur ouvert.


Plusieurs morceaux réitèrent ce concept. Simple mais puissant et, curieusement, original. Le bijoutier revêt des allures de polar et ménage le suspense. De surcroît, ce ping-pong évacue subtilement le manichéisme. Il sert des récits à la fois dynamiques et émouvants. On perçoit une lucide maturité chez ces jeunes, de ceux qui « tirent des tafs pour oublier qu’ils n’en trouvent pas ». Ils croquent, l’œil malicieux, les contradictions de leur génération, s’abstenant de magnifier leur bon sens. Quelques notes de trompettes, soufflées par le cadet, et des lignes de piano succèdent aux beats idoines, avec quelques passages dubstep. La diversité habite l’album, parfois secoué par des logorrhées sismiques attestant du charisme des gringalets.


En complément aux sérieux constats, on dénombre d’efficaces refrains. On imagine déjà l’audience les clamer tant les gaillards ont prouvé leur enthousiasme scénique aux dernières Francofolies de Spa. Ces rengaines perdent en authenticité pour mieux se nicher dans les esprits. On déplore surtout que, dans ces chansons plus formatées, les deux rappeurs martèlent autant leur ethos. « On est comme vous, on est des jeunes normaux, pas des gangsters » répètent-ils comme s’ils s’adressaient à la police. Bigflo et Oli misent sur cette proximité avec leur public. Ils s’enlisent dans cette communication poussive et caricaturent ces récepteurs, malgré une belle autodérision.


On pardonne ces facilités. Le duo détonne, retourne le duodénum. Dans le bouchon, ils accomplissent le tour de force d’opérer un travelling chanté : ils passent d’une voiture à l’autre, narrant les instants éternels des usagers bloqués. Ils explorent leur singularité, niée au creux de cet agglutinement involontaire, pour enfin livrer d’un bloc le dénouement de ces histoires. Qu’importe qu’ils brandissent parfois des valeurs naïves (« les copains d’abord », l’amitié plutôt que l’argent), qu’ils croient au destin. On salue l’énergie. Sa floraison enthousiasme bien plus que celle du cynisme. « J’ai marqué vivre sur la liste des choses à faire avant de mourir », assène Oli, le petiot, parangon du carpe diem.

Boris_Krywicki
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le 2 juin 2015

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