Enfin de l'espèce !
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le 17 août 2013
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À tort ou à raison, l’image que l’on a du rappeur actuel est celle de l’homme de couleur musculeux et issu du ghetto, au look de gangsta, prêt à tout pour réussir et entouré de femmes faciles. Le cliché a la vie dure et Fuzati, leader du Klub des Loosers, le sait très bien, lui qui est blanc et frêle, né dans la banlieue bourgeoise de Versailles. Pour que son rap existe il fallait donc qu’il s’inscrive aux antipodes de celui que l’on entend à la radio : ainsi, La Fin de l’Espèce est non seulement peuplé de samples volontairement désuets que vient recouvrir un flow exsangue et monocorde, mais surtout s’y étale l’incompétence de Fuzati à être heureux malgré ses origines sociales.
Ce nouvel album débute là où le précédent s’achevait, la corde au cou : incapable jusqu’au bout des ongles, y compris de se suicider, c’est sur cette anecdote cruellement drôle que Fuzati nous accueille dans La Fin de l’Espèce avec « Vieille Branche ». Immédiatement, même après une absence aussi longue, on reconnaît cette voix haut-perchée qui débite ses contes de la loose dans ce qu’ils ont de plus cru. Les détracteurs parleront bien sûr d’obscénité car Fuzati va plus loin dans la misogynie et la misanthropie que n’importe lequel de ses concurrents. Mais ce serait faire fi de ses talents d’écrivain. Feu le chanteur Caradec disait dans l’une de ses chansons « pourquoi pas jouer sur les mots, on joue bien sur le corps des femmes ». N’ayant pas, à l’en croire, les compétences de séducteur de son aîné, Fuzati ne se sert pas des mots pour jouer, mais pour se venger avec humour et brio des humiliations que la gente féminine lui a fait subir. Fuzati n’est donc pas un apôtre de l’argent, de la gâchette et des filles faciles, mais plutôt et plus simplement d’un grand suicide collectif.
Pour rire ? Oui sans doute mais pas seulement. Car si l’on observe bien chez lui un décalage qui est aux abonnés absents chez Booba et consorts, il y a dans ses paroles l’évocation d’un quotidien sordide qui ne nous est pas étranger, que l’on a déjà vécu ou dont on a peur. C’est pourquoi Fuzati se révèle aussi touchant qu’odieux. En disséminant de petites vérités dans un océan d’exagérations (« si tu oublies que c’est le tien, ce gosse n’a rien d’exceptionnel, juste un parmi tant d’autres que tu attends devant la maternelle ») il nous interroge et nous inquiète autant qu’il nous fait sourire. Les samples de DJ Detect (souvent superbes) vont dans ce sens : guitare, basse, batterie, piano, chœurs soul, on est loin des canons du hip-hop actuel qui brasse volontiers sons synthétiques et schémas de tubes dancefloor aguicheurs. Cet anachronisme finit de faire du Klub des Loosers un projet unique, entre révérence aux auteurs brillants et aux standards musicaux du siècle passé, et clin d’œil à une époque qui se baigne volontiers dans la vulgarité la plus crasse.
Loin de développer l’image du rappeur de banlieue défavorisée, winner peu scrupuleux et lascif, Fuzati joue sur un créneau totalement différent et déserté, celui du perdant rancunier et nostalgique. En ce sens, La Fin de l’Espèce referme parfaitement le cercle entamé il y a huit ans ( !) avec Vive la Vie, qui décrivait déjà un quotidien pour le moins morose sur le ton d’une méchanceté grinçante adoucie par une musique presque pastorale. Ou comment Le Klub des Loosers, en prenant le contre-pied formel de ses concurrents, nous fait tirer le constat suivant : au cœur d’une cité difficile ou à Versailles, c’est le même vide existentiel derrière les apparences pour les chanteurs de rue.
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Créée
le 2 janv. 2019
Modifiée
le 12 juin 2024
Critique lue 127 fois
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