N'avons-nous pas tous fondu à la vue de la romance entre Emma Stone et Ryan Gosling, mis en scène avec brio et moult brillance par Damien Chazelle ? Aussi imparfait que le film puisse être - bien qu'il ait relativement fait l'unanimité mais que voulez-vous, les pisse-froid sont toujours de la partie - la BO de Justin Hurwitz qui aura vu ce casting rêvé, ce duo idyllique poussé la chansonnette. Emma Stone et Ryan Gosling qui chantent... Pire, qui font des claquettes ! C'était bien trop pour mon cœur d'artichaut.
Ou peut-être me fourvoies-je. Car c'est bien cette mise en musique référencée qui porte l'atmosphère joliment nostalgique du film. Sans elle, tout ceci serait peut-être tombé à plat, qui sait ? Abrégeons. Les compositions jazzy au piano de Justin Hurwitz ont instantanément fait mouche. Reconnaissable entre mille, assez easy-listening pour plaire au grand nombre aujourd'hui sans trop de difficulté, ces compos resteront, à mon humble avis, longtemps dans nos mémoires de cinéphiles et d'audiophiles rassasiés. Et c'est là une performance rare. J'en ai été définitivement convaincu lorsque, en voyage à Cologne, j'ai pu entendre ce fameux thème de La La Land en opening du 33ème Night of the Proms, dans l'immense Lanxess Arena, ces concerts où un orchestre symphonique s'allie à des artistes pop (pour un cocktail pas toujours digeste, je vous l'accorde, mais là n'est pas le sujet).
Quant aux parties chantées par nos deux amoureux, pour qui c'était une première et qui ont donc suivi un coaching de voix soutenu, elles sont superbes de maladresse. La maestria n'était pas requise, seul le cœur importait et il était là, dans chaque rire impromptu de la désormais couronnée au Oscars, dans chaque faiblesse de voix de notre tombeur maladroit.
Il y a deux raisons pour lesquelles cette jolie BO n'apparait pas dans le top 30 de l'année. La première, c'est bien cet aspect easy-listening qui, tout en jouant en faveur du film en terme d'ancrage dans la pop culture et en terme de réussite commerciale, affaiblit le caractère et la portée émotionnelle de l'œuvre : les prises de risques sont complètement absentes. Le thème principal au piano, entre revival des comédies musicales de l'âge d'or et néo-classicisme, tranche fortement avec le free jazz du personnage de Ryan Gosling. Et ceci nous amène au deuxième bémol de la BO, lié au propos du film sur le jazz. Et ce bémol est symbolisé, à la limite de l'outrance, par l'horrible Start A Fire. Grossière chanson pop pseudo-soul, où John Legend, arrivant comme un cheveu sur la soupe, ridiculise le personnage de Ryan Gosling. Sans pour autant être incriminé. Start A Fire est présenté comme une dérive naturelle du jazz mais pas péjorative ! "Poppiser" des genres moins mainstream et médiatisés est une horrible dérive à laquelle La La Land s'adonne pour ratisser large et je le crie haut et fort, c'est mal Monsieur Chazelle, où qui que ce soit derrière cette infamie ! Plus globalement, c'est le symptôme d'un film mainstream nécessitant un jazz mainstream pour faire succès, nécessitant aussi une fin "nostalgisante" inutile et presque dangereuse - n'ayons pas peur des mots - car le "vrai jazz", si une telle chose existe, ne situe pas dans le passé. Cette hypothèse étant d'ailleurs fondamentalement contraire aux principes d'innovation et d'improvisation inhérents au jazz.
Mais à défaut de mettre le feu, elle pète de l'émoi. Elle touche quand même mon petit cœur. Très facilement. Et il n'y a pas que moi. Donc chapeau.