Je suis un marcheur passant.



Circulant dans la ville, j’aborde toujours avec la même délicatesse les trottoirs que je ne connais que trop bien, ces lignes et ces pauses entre deux passages de transports en commun, ces vrombissements de moteurs, ces avions survolant la ville, terribles mécaniques du ciel, ils ne sont rien pour moi, mais agissent sur ce tout ; cette vitalité émane sans cesse de Nantes, depuis que je la parcoure de long en large.


J’essaie de m’en approprier les circonvolutions ; quelques parts un brin ridicules, précieuses cependant conférant ce charme désuet des superpositions rigolardes de la vieille pierre et du laid béton armé. Quelque chose d’un peu décalé, de franchement de mauvais goût ; ça n’empêche rien, à force d’y revenir, on y trouve cette attraction désastre qui vous donne les couleurs par synesthésie : un quartier mauve.


Seul l’été pose une ombre sur cette toile tendue ; il mène la moue et le rhume des foins à la baguette, et fait suer quand on cherche une chaleur humaine ; rigole de nous voir peiner, chargés comme des baudets, et éblouit méchamment dans les pires instants, alors on longe les murs et cherchons les miroirs d’eau, et la Musique, la Musique… qui elle ne trahit jamais.



Je suis un promeneur attentif.



A l’acuité toujours à l’aguet, à l’affut, comme en pendentif poitraillant un peu niaisement ma personne.
Lors, je parais pour certains garçon perdu, toujours dans une Lune de jour, et il arrive de se détourner, troublé, au croisement de mon regard, de la douceur effarouchée de mes yeux compatissant en tout, en Amour surtout.


Et sans ambages, au détour d’une ivresse, j’évoquerai alors avec mes compagnons de route, mes compagnes de l’instant, la polysémie de la Musique, de l’Homme, de tout et rien : de dialectes inuits (l’inuktitut comme le groenlandais), de ces longues étendues de combles sur lesquelles il faudrait marcher et croiser d’autres nationalités… C’est dans les bars et les congrès qu’on croisera ces nationalités alors, cette belle américaine ou cet étranger peu loquace.


Je demanderai dès lors : « Emmène-moi ! », dans cette démarche guidée par les sons, cette beauté rétive qui explosera parfois, les Fahrenheit ardent et offrent à voir cette espèce de déchirure, où sourde depuis longtemps cet esprit curieux, toujours curieusement ce même esprit vagabond, jetant parfois pêle-mêle ses trajectoires et influences au mortier pour chercher à en extraire l’essence même.



Je suis un voyageur incertain.



A tenter d’approcher de tout va la fin d’un monde, à me retrouver passagèrement troublé et amer par des gorgées, au choix, du voyage, de l’alcool ou de l’Amour (encor et toujours !), les formes et variations infinies des voluptés de l’ivresse, tant que le corps tient.


J’écoute le murmure des traverses que je côtoie, étendues dont les limites sont hors de vue comme petite montagne aux secrets qui restent à découvrir, en en écrasant les branches tombées et en priant la faune peureuse de bien vouloir ne pas nous fuir, sans grand succès alors. Et comme un dormeur de val, je me laisse glisser distraitement dans une voie ou une autre, à guise guidé par les volontés des ondes cosmiques qui caressent l’ouïe.


M’allonge un temps, devant l’immense innomé. Les vicissitudes céruléennes.


Là.


Une nuance diamantée m’accroche, une substance d’horizon persiste et signe, s’incline et fuit avec un sourire pour nous.


Assoupi, je me relève comme accompagné, sans trouver en tendant la main une présence tactile, mais je crois dur comme fer que la bonne étoile d’une belle Musique me couve.



Finalement, je suis un explorateur de la matière.



Mon itinéraire ne connaît plus de bornes, de cime suffisante, un chemin boueux, j’irai frémissant dedans, quitte à savoir l’éboulement et l’affleurement des sens.


Je lape avidement ce que je convoite, le galet, le bel animal, les charmes, et autres arbres. Et les êtres humains, je les câline, cherche leur gargouillement de royaume même dans ces sursauts électriques et dévorants.


J’aimerai de nouveau tomber dans l’oubli, pour mieux me ressouvenir… En me mordant la bouche, et mordant d’autres lèvres, et connaître le charnu et l’essentiel…


Alors je me laisse dans cet au-delà souverain guidé par une main qui s’hasarde, une Musique, une Matière en vrac, comme lointaine à tout tuteur, qui trouve des échos partout et emporte et convoque les éléments. Un happement qui s’empare de moi, indécelable et imprononçable, cet happement de la Musique…

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le 20 juil. 2016

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Rainure

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