"J'te jure que par rapport à celui-là, notre premier album, c'est de la merde"
"mes fans, c'est ma famille, c'est ma force je veux les couver"
Sans se soucier des attentes ni de la démarche artistique du noble art de la musicalité urbaine, le duo de Toulousains s'emporte dans des envolées lyriques de bas étage, conçues pour un public de classe moyenne, voire de classe sup'. Pourquoi mentionner les diverses classes sociales ?
Tout d'abord, les deux frangins sont issus d'un parcours scolaire très conforme aux attentes de leur public. Bac S pour le cadet, Bac ES pour le benjamin, ils appartiennent au monde du "général", où les clichés doivent être démontés par la suite. Et où l'on fréquente également ces mêmes clichés.
De plus, ils sont fanas du starter pack classique pour le fana de rap aux heures perdues : monsieur est fan d'IAM, l'autre d'Eminem. Heureusement, ils ont vécu à travers les récitals respectueux de la classe moyenne représentée par Orelsan. Tout va pour le mieux pour nos jeunes rappeurs en herbe, affichant un respect certain envers leurs inspirateurs.
Malheureusement, ces petits zigotos n'ont pas réussi à saisir la nuance entre ces artistes et leurs problématiques. Les problèmes, majeurs ou mineurs, sont évoqués avec un certain respect du lyrisme, avec une tradition respectueuse des métaphores et de l'ambiguïté. Peu importe notre réception, ces remarques restent efficientes. Sauf que les Toulousains veulent leur part du marché.
Dans un monde parfumé par la profusion des artistes éphémères, que nous surnommerons les artistes pop-up, Bigflo & Oli prennent place. Sans oublier les maisons de disques, les producteurs attitrés, les agents, les promoteurs ! Avant toute chose, le succès - effrayant - du duo tient compte d'une magnifique affaire marketing ! Pour une jeunesse avide d'idéaux, de représentativités, de principes, chaque parole comporte un sens primaire.
Être moralisateur pour dénoncer une autre vision du rap, est-ce vicieux ? Le jeunisme semble prépondérant depuis que notre Président ait été élu, mais est-ce si étonnant qu'il soit présent à son poste ? Loin de moi irai-je comparer l'élection avec le succès de Bigflo & Oli, mais comment peut-on expliquer un tel succès du jeunisme alors que les deux modèles proposent la même chose
(à comprendre, faire du vieux avec du neuf)
mais en plus grossier ? Se soucier des femmes qui ne se "respecteraient pas" en dansant sur "de la musique contre elles" rappelle une pensée pertinente du rap français des années 90, mais avec un degré nettement plus virulent, plus grossier voire plus condescendant.
Qui obligent les femmes à danser sur du Booba ou sur de "la musique irrespectueuse envers elles" ? Est-ce la société ? Est-ce le rap ? Est-ce l'imagerie de la femme qui se développe ainsi ?
Par ailleurs, pourquoi interpeller l'auditeur pour l'idée de "La vraie vie" ? La vision artistique, si elle existait dans ce duo de jeunots, pourrait apporter une explication sensible et créative de cette conception de la vie. Or, tout est basé sur l'affect, sur l'émotion de pacotille, sur le ressenti, sur l'insensé et l'insensible. Le tout en parfaite condescendance. L'ego trip ne fonctionne qu'avec les types désireux de ne pas se prendre au sérieux, mais pas avec les apprentis sorciers des HLM de Toulouse.
Ces garçons souhaitent changer de cadre, tentent d'apporter un vent de fraîcheur dans le rap français... et quelle erreur. Réinventer le rap avec des codes de jeunes bourgeois de pacotille pour mépriser le rap populaire, le rap "crasseux" et "insultant" ne serait pas en contradiction avec leurs propres idéaux ? Le respect d'autrui semble cher à leurs yeux. Si ce n'est le questionnement de la fréquence d'insultes et de dictions moralistes puantes de prétention, le duo toulousain se caractérise par sa médiocrité continuelle, à la fois sur le plan lyrique, mais aussi dans la production.
Chaque phrase semble être de trop, chaque parole est insensée, terriblement jeune et malheureusement conne. L'heure passée à écouter cet extrait de démence jeuniste confère un sentiment malheureux. Si certains de nos congénères parviennent à être aussi vieux et aussi ennuyeux dans leurs productions musicales, comment les rêveurs et les insouciants doivent-ils s'y prendre ?
L'album contient une succession de morceaux détachés du rap actuel, proche d'une forme hydrique de compositions attardées d'ados soucieux de leur image. Être aussi correct et propre à vingt ans, est-ce une vertu ou un défaut ?
Personnellement, je préfère profiter, boire, m'amuser, écouter de la trap dégueulasse, me faire du mal, me moquer des conformistes et des raclures moralisatrices, des prétentieux et des opportunistes, leur faire du mal, les insulter, brûler mon téléviseur, pleurer ce dernier, rater ma vie et l'assumer tristement. Vivre dans la croyance de l'être sensé et réfléchi, en sachant que la morale et la vertu demeureraient des passe-droits de la bonne conduite, représente beaucoup selon moi. Mais à travers la morale de ces deux produits de consommation pour adolescents en manque de repère, autant crever et mourir seul.
Ni fait ni à faire, les deux parasites ont réussi leur travail : instrumentaliser la morale d'une jeunesse perdue et incertaine de son futur en jouant sur leurs émotions (de bas étage).
Est-ce de la rage ? Certainement.
Mais à l'instar du Président, je ne comprends pas. Le jeunisme est le nouveau vieux, pourquoi s'y engouffrer ?
Par ailleurs, les fans de ce duo, vous représentez selon moi la partie la plus médiocre de la jeunesse française. Vous vous estimez supérieurs face à une autre partie de la jeunesse, qui écouterait un rap "vulgaire", alors que vous vous congratulez sur des banalités et des truismes qu'un adolescent de quinze ans pourrait exprimer auprès de son psychologue le mercredi après-midi. Ce dernier, en question, regarde son patient avec un œil rêveur, se rappelant des errements successifs entrepris dans sa jeunesse. Il s'estime heureux d'avoir grandi.