Un sentiment certain s'empare de moi quand je place cet album sur la platine. Un sentiment de profonde solennité, avec la réelle impression de se retrouver en présence d'un objet spécial. Le macaron rose du vinyle est à la fois déjà anachronique, et pourtant si adéquat, contrastant avec le noir et le blanc de cette pochette, à l'érotisme confondant, sans l'ombre d'une quelconque vulgarité. Elle, sublime créature, poitrine voluptueuse dévoilée, et lui, sanglé dans son t-shirt Marine Nationale. Elle, c'est Salomé, lui, c'est Etienne, et ce sont Les Chansons de l'Innocence Retrouvée.
Innocence retrouvée, car presque perdue. Mal couvant durant l'enregistrement, sans le savoir, puis rescapé d'une péritonite quasi-mortelle, Daho livre un album de rédemption, équilibre parfait entre rock calibré et pop orchestrée. C'est un hommage à ses inspirations, Hardy et Gainsbourg en premier lieu. Ces cordes, dignes d'un Jean-Claude Vannier, vampirisent les titres de cet album presque prophétique. Cela adjoint au groove évident des musiciens qui l'accompagnent, je n'avais pas vu ça depuis Melody Nelson en 1971.
Daho l'aime pop, mais Daho fait ça bien. Egal à lui-même, summum de l'élégance, dandy timide mais ambitieux dans ses choix dans ses choix artistiques. C'est un mélodiste, ajouté à cela un parolier mystérieux, aux messages pas clairement décelables, mais auxquels chacun pourra apporter un point de vue personnel. Daho est comme ça, il l'a toujours été, depuis ses premiers essais timides sur Mythomane jusqu'à la noirceur néo-psychédélique de Blitz. Mais l'Innocence Retrouvée s'impose déjà comme un classique, un recueil sans concessions.
Etienne a rassemblé des invités éclectiques mais prestigieux, Nile Rodgers, qui pose ses arpèges funky sur trois titres, dont "L'Etrangère", en duo avec la Blondie Debbie Harry, classieuse, Dominique A., avec lequel il co-signe "En Surface", un coup de coeur personnel, magnifique de mélancolie pop speedée, François Marry ou encore Au Revoir Simone.
Il enregistre à Abbey Road, terrain de jeu des Beatles et de Pink Floyd, et donne à l'Innocence Retrouvée la saveur des meilleurs albums de pop anglaise, une sophistication simple, un professionnel indéniable (qui manque au monde musical actuel, trop peu exigeant).
Il est "L'Homme Qui Marche", classique tardif, beauté analogique, voyage troublé aux accents romains, rencontre "L'Etrangère", écoute Blondie, tente d'échapper au "Baiser Du Destin", au groove velouté de cette basse délicieuse.
"Les souvenirs ont la peau dure", et reviennent vous hanter, Daho a raison. Le "Bonheur Dangereux" constitue un renvoi direct aux élans amoureux et ensoleillés de Corps & Armes, bien qu'on y décèle un certain cynisme, qui n'aurait pas eu sa place sur l'album de "La Baie".
Titre référence direct à William Blake, dont un vieil exemplaire des "Songs Of Innocence And Of Experience", pareil à celui de son adolescence, traînait dans son appartement londonien de location lors de l'élaboration de l'album, et comme énoncé dans la chanson-titre, l'Innocence Retrouvée est le recueil du disco noir, abandonnant la sensualité et les sueurs du dance floor, pour l'élégance et la courtoisie érotique chiadée des clubs anglais.
L'Innocence retrouvée est ce qu'on pourrait qualifier de sommet tardif, redonnant quelque peu espoir dans cet art en perdition qu'est la pop française. Et cela, tout en discrétion et modestie, parce que c'est ça Daho. Il a "glissé sous la surface", et m'a emporté avec lui...
Sensuel, élégant, comme son auteur.
"En Surface"
"L'Homme Qui Marche"
"L'Etrangère"