En 1973, Daniel Bevilacqua a 28 ans, déjà dix ans de carrière et une belle réputation de chanteur à minettes derrière lui. Il avait à peine 20 ans qu’il criait déjà Aline dans les hits parades dont il se disputait la première place avec le Capri c’est fini d’Hervé Vilard. Rocker patenté passionné de blues, c’est dans la vague yé-yé qu’il se fait remarquer avec ses chemises écossaises, ses pantalons de velours et sa gueule de James Dean des banlieues. Les bagnoles américaines (Cadillac), les filles en vogue (Michèle Torr) , la frime… et puis l’oubli.
Une période pendant laquelle ce perfectionniste se consacrera à la réflexion musicale, à la recherche de nouveaux sons, de nouvelles pistes artistiques. Une créativité exacerbée qui va mûrir lentement (l’homme n’est pas réputé être un rapide…disons qu’il aime prendre son temps) pour éclater en feu d’artifice, en deux concept-albums coup sur coup, deux joyaux de la pop musique, deux perles fines incontournables des french-seventies : Les paradis perdus en 73 et Les mots bleus en 74. Musiques de Christophe et textes signés d’un jeune auteur encore peu connu, un certain Jean-Michel Jarre (oui-oui, celui qui a mal tourné avec ses grandiloquents projets rétro-futuristes à succès planétaires). Et c’est la formule magique, l’identité remarquable qui tue : (mots de musicien, pleins de sonorités, d’accords et d’arpèges) x (notes de génie, pleines de sublimités, d’idées et de profondeur) = 2 chefs d’œuvres intemporels !
Deux disques enregistrés avec (quasiment) la même équipe de musiciens, dans le même studio Ferber à Paris, sous la même houlette du mécène-producteur Francis Dreyfus et dans le même esprit de cohérence de bout en bout.
Romantique désabusé, loser fatigué et dépressif, c’est l’artiste qui se raconte indirectement sur ces deux fois huit titres, d’une voix alternativement forte et plaintive, contrastée, touchante. Sa vie de Dernier des Bevilacqua (extraordinaire épopée musicale !), avec ses quêtes de tendresse (Emporte moi, Les mots bleus), ses désillusions (Les paradis perdus, La mélodie), sa détresse face au temps qui file (Le temps de vivre, Drôle de vie, Sénõrita), et ses coups de griffe au système (Mickey) . Et toujours, sous-jacente, en fil conducteur, la mort (Mama), comme une obsession au cœur des nappes de synthétiseur ARP qui hantent les bandes.
Deux disques rares et précieux, habités et en avance sur leur temps, qui donnèrent lieu à deux shows exceptionnels et mémorables en novembre 1974, à l’Olympia, mis en scène par Jean Michel Jarre, avec piano blanc qui vole et tout et tout. La poignée de veinards qui y était en parle encore….