Ce ne sont pas les albums de Mickey 3D et de Christophe que l’on a forcément le plus envie de défendre mais l’absence prolongée de ces deux identités musicales francophones et la sortie conjointe de Sebolavy et Les Vestiges du Chaos nous invite à nous rappeler à quel point leur langage pop reste à ce jour parfaitement unique.
Il s’agira, pour l’occasion, de ne pas s’arrêter sur une prose parfois malheureuse concernant Mickey 3D (« François sous la pluie », « Liberté, égalité, fragilité »), ou sur un choix de production indéfendable pour Christophe (le morceau de clôture « Mes Nuits Blanches », parasité par l’autotune, est inaudible). Souvent moins touchantes et drôles qu’elles n’ont pu l’être par le passé, les paroles de Mickael Furnon (aka Mickey 3D donc) peuvent aussi sembler aujourd’hui moins incisives. Mais il ne faut pas oublier que la naïveté de ses paroles a toujours été à rapprocher d’une écriture anglo-saxonne, simple et immédiate, ce que l’on a parfois du mal à admettre au pays de Ferré. Christophe, lui, reste en revanche fidèle à son verbiage de vieux séducteur cheap engagé il y a vingt ans ; soit un collage improbable de visions hallucinées (« Tangerine »), de no comprendo total (« Drone »), et de rimes folles (« Tu te moques »).
L’incroyable mue musicale que ce dernier a amorcée avec son retour en 1995 (Bevilacqua) semble ici marquer le pas, et, sans pour autant rentrer dans le rang, le Beau Bizarre revient à une certaine nudité des arrangements qui, sur Les Vestiges du Chaos, sublime souvent ses mélodies (« Dangereuse »). Furnon n’est sans doute pas aussi aventureux musicalement que Christophe, mais ça n’a rien d’étonnant : le Français a souvent revendiqué son amour de The Cure, influence que l’on n’a jamais sentie aussi présente que dans Sebolavy. Le souvenir de Bloodflowers s’invite sur « La rose blanche » et « Après le grand canyon », celui de Wish sur « Aurélia » et « Les papillons ». Sur ces titres il ne fait aucun doute que c’est de la pop d’outre Manche que l’on entend, et comme un signe, pour la première fois depuis Mistigri Torture, Furnon invite l’anglais au détour de quelques chansons. Cette association a priori contre-nature d’un phrasé traînant, à la Aidan Moffat (Arab Strap), et de thématiques musicales franchouillardes façon Brassens (« Rallonge tes rêves », « Sylvie, Jacques et les autres »), de guitares et basses post-punk et de mots légers comme l’air, est tout simplement devenu une marque de fabrique.
Furnon et Christophe, ce sont aussi deux voix, sans doute aussi belles l’une que l’autre, mais dont les timbres et les intentions sont aux opposés. Le leader de Mickey 3D assume des intonations de loser, semble fuir le lyrisme, quand Christophe le revendique, d’un ton cristallin et affecté. Mickey 3D, ce pourrait être le double négatif de Christophe : à la sursignifiance du groupe répond l’imagerie de carte postale méditerranéenne et surannée du chanteur septuagénaire. A l’épaisseur mélodique, directe et catchy de l’un répond l’évanescence d’éternelles esquisses de l’autre. Dans les deux cas, tout paraît simple et instinctif, secoué d’éclairs de génies comme de facilités, que l’on pardonne sans peine à deux personnages qui ressemblent étonnamment à leur œuvre : sympathique, ancré dans la terre, un peu rustre pour Mickey, séduisant, mystérieux et très loin à l’ouest pour Christophe.