On le voit placardé en couverture des Inrockuptibles : « Lescop ressuscite la cold-wave ». Mais le français Lescop ne ressuscite rien du tout, il resuce, tout court. Une resucée à des années-lumière de la grâce des pionniers, qui ne nous confirme qu’une chose : la cold-wave est bel et bien morte, laissons la donc reposer en paix. Lescop n’est pas le premier à se casser les dents sur ce revival : les Interpol, avant lui, n’ont jamais confirmé le miracle de leur premier album. Non, si l’on cherche à redonner vie à ce mouvement révolu, autant (re)plonger dans le passé. C’est ce qu’a fait la compilation BIPPP en sortant de terre des chansons françaises oubliées, mais bien plus symboliques de cette période d’effervescence créatrice (1979-1985).
Le label Born Bad a accompli avec cette compilation un vrai travail d’archiviste, façon spéléologue dans des montagnes de documents. Car BIPPP s’impose comme un véritable catalogue de curiosités qui sortent de nulle part. Les treize titres ont été composés par des artistes éphémères, c’est vrai. Mais l’épatante singularité de chacun d’entre eux agit comme un véritable voyage dans le temps ; et elle nous rappelle surtout à quel point les chansons de Lescop sont pauvres. Comme si le jeune homme avait boulet au pied : celui d’un héritage trop lourd à porter pour composer. Imaginez donc, il faut négocier avec The Cure, Siouxsie and the Banshees, Joy Division… Autrement dit des monstres, qui semblent avoir littéralement tétanisé le français. Tandis que ses ancêtres compatriotes, eux, ne semblaient avoir cure du rayonnement (encore limité à cette époque, c’est vrai) de leurs voisins d’outre-manche : il faut voir avec quelle audace (diversité de tons, d’instrumentations, paroles hallucinées) Les Visiteurs du Soir, Comix, Marie Möör et Ruth par exemple, se distinguent encore aujourd’hui du post-punk et du romantisme sombre des ténors anglo-saxons. Décomplexés et novateurs à cette époque, ils le sont toujours presque trente ans plus tard.
Il faut dire aussi que dans ce cas précis la diversité de la compilation joue en faveur de BIPPP face la morosité mélodique et formelle de Lescop. « La Forêt » et « La Nuit Américaine », les deux premiers morceaux, sont ainsi, sans suprise, les meilleurs. Car la suite de l’album est une suite de calques appliqués sur du mauvais carbone, sans une seule ligne de fuite. Beat de plomb, basse itou, synthés vaporeux… La musique de Lescop est comme passée par un vieux « téléphone arabe » relooké. Les codes ont été ingurgités, sans aucun doute, et mixées via une production irréprochable. A ce titre les claviers et autres boîtes à rythmes de BIPPP font en comparaison figures d’antiquité. Mais indéniablement le charme opère dans ces minuscules chansons sans prétention quand il est parfaitement absent chez Lescop. C’est un charme suranné, c’est vrai. Mais la vitalité est là, intacte, et les années d’or de la cold-wave ressuscitent (vraiment, pour le coup) à travers ces sons malingres, ces mixages simplistes. Pas dans cette musique calibrée, propre sur elle et immobile qui fait la une des journaux.
Attention, Lescop n’est pour autant pas dénué de talent. Les paroles de ses meilleurs titres sont épatantes, dignes d’un beau roman noir. Mais le rythme s’essouffle tellement vite ! Jusqu’à sombrer dans une banalité affligeante (« Hypnose »). Cette banalité, elle a été bannie dans les choix de Born Bad : les responsables du label ont préféré nous laisser parfois pantois devant l’absurdité la plus totale (« Contagion » de A Trois dans les WC) que de céder au clonage aseptisé. C’était ça aussi la cold-wave, le témoin d’une époque qui balançait entre le gris des banlieues appauvries par le chômage et le fluo, les excès en tout genre. Lescop, lui, n’est témoin que de sa passivité assumée. Peut-être, un jour, l’un de ses titres figurera aussi dans une compilation. Dans vingt ans. Pour l’instant on n’y croit guère…