Depuis l’enregistrement de l’Album Blanc l’année précédente, les tensions entre les Fab Four sont de plus en plus fortes et la séparation semble plus que probable rapidement. Ce qui n’est déjà plus un groupe se lance dans un nouveau projet, surnommé Get Back, qui doit être un film dans lequel on les voit enregistrer de nouvelles chansons dans le but de terminer par un concert. Mais le projet reste vague (où doit se jouer le concert ? Dans une émission télé ? Avec quels morceaux, que des nouveaux ou des anciens ?...). John propose à ce sujet qu’il ait lieu « sur la Lune » !!! Paul, John, George et Ringo se mettent d’accord pour revenir à leurs racines rock’n’roll, un album simple et efficace sans overdubs, dans des conditions du live et où même les erreurs seraient gardées pour maintenir la spontanéité de l’ensemble. Tout doit être filmé et les caméras doivent tourner en continu pour ne rien rater…Rien de ce qui avait été décidé ne va se dérouler comme prévu. L’enregistrement commence aux studios de Twickenham mais les relations glaciales entre les musiciens et les lourdeurs techniques du tournage ne permettent pas d’avancer. Le temps passé dans ces studios (15 jours) n’a pas abouti à grand-chose : John est bien plus intéressé par sa carrière solo et sa femme Yoko omniprésente que par les Beatles, c’est Paul qui dirige les opérations pour sauver ce qui peut encore l’être, souvent de manière autoritaire, ce que les 3 autres n’acceptent pas. Pour Harrison, c’est simple, le groupe a littéralement « touché le fond » à l’occasion de ces sessions pénibles. George excédé s’en va pendant une dizaine de jours en janvier 1969. Et là, les autres membres ne savent plus trop quoi faire, ils pensent même faire appel à Clapton pour le remplacer. Même si ces sessions ont été prolifiques puisque chacun a amené de nombreuses chansons (Let It Be, The Long and Winding Road, I Me Mine, For You Blue, Two of Us, I've Got a Feeling, etc.), Get Back étant la seule conçue et écrite sur place durant ce mois de janvier, le projet Get Back est abandonné, faute d’aboutir à quoi que ce soit. Après une réconciliation de façade avec George, le travail reprend pratiquement à zéro mais cette fois-ci au studio de Savile Row. Et les Beatles sont, fait unique, accompagné par un de leurs amis, Billy Preston, amené par Harrison. La présence du claviériste va considérablement radoucir l’ambiance, les obligeant à bien se comporter entre eux. Les Beatles retrouvent avec lui du calme et du plaisir. Preston apporte un son très soul, un vrai groove aux morceaux des Beatles. Après bien des hésitations et des doutes, la date du concert approchant, une solution est trouvée : jouer les nouveaux morceaux sur le toit de l’immeuble d’Apple à Savile Row, là où les Beatles enregistraient en sous-sol ! C’est chose faite le 30 janvier pour une performance surprise d’une quarantaine de minutes qui va être la dernière prestation des Beatles, intégralement filmée bien sûr, pas une seconde ne doit être perdue même dans la rue. Le public, surpris, se presse dans les trottoirs, la chaussée aussi vu l’affluence et pour ceux et celles qui ont pu, aux fenêtres et sur les toits. Accompagnés de Billy Preston, les Beatles interprètent Get Back, Don't Let Me Down, I've Got a Feeling, One After 909 et Dig a Pony, certaines chansons étant jouées plusieurs fois. Ils concluent finalement par une troisième version de Get Back. Les musiciens, Ringo en a témoigné, avaient peut-être l’espoir que la police vienne y mettre fin de façon brutale, pourquoi pas en les arrêtant en plein concert, histoire de finir en beauté ! Quant à Alan Parsons, alors jeune ingénieur, il a raconté qu’il s’agissait d’un des jours les plus beaux et excitants de toute sa vie. On voit des musiciens à nouveau heureux de jouer ensemble et s’amusant malgré le froid et les conditions compliquées car la police met tout de même fin à tout ce raffut mais de manière polie et courtoise (Ringo a dû être déçu, il se voyait déjà détruisant sa batterie avant d’être arrêté !!!). Il n’en reste pas moins que les heures d’enregistrement sur bande (pas loin de 30h à trier !) n’aboutissent pas à grand-chose, et encore moins à un album auquel les musiciens eux-mêmes ne semblent plus croire. C’est le nouveau manager du groupe, le sulfureux Allen Klein (Qui a dit « escroc » ?!), choisi par John, avec l’accord de Ringo et Harrison, qui met George Martin totalement sur la touche alors qu’il a été là du début jusqu’à la fin. Let it be, issu de ces sessions « Get Back », a été le seul album où Martin n’est pas crédité comme producteur puisque Klein choisit Phil Spector pour s’occuper des bandes, sans que Macca en soit averti. Ce dernier a détesté ce que Spector a fait en particulier sur ses propres morceaux (Get Back, The long and winding road et Let it be), rajoutant comme à son habitude des couches de cordes, des chœurs souvent envahissants, de l’écho sur les voix, sans que le groupe soit présent d’ailleurs. C’est le contraire total du projet d’origine. La colère de Paul et de George Martin est immense. Par contre John, George et Ringo continueront d’affirmer qu’ils ont été très satisfaits de ce que Spector a produit. John a reconnu qu’il avait réussi à sortir quelque chose de pas mal à partir de rien. L’album a été un énorme succès commercial dès sa sortie tardive en mai 1970, alors que le groupe n’existe plus. Heureusement, les chansons figurant dessus sont assez fabuleuses pour en faire un grand album : même au milieu du chaos, les Beatles réussissaient à sortir des mélodies extraordinaires ! Le film documentaire Get Back reste dans les cartons mais a circulé quand même longtemps en version non officielle, l’intégrale des sessions d’enregistrement aussi. Il a fallu attendre 2021 pour que Peter Jackson reprenne les dizaines d’heures d’images disponibles et en livre un nouveau montage (très intéressant), Get Back, insistant plus sur la création de l’album elle-même que les tensions entre les 4, même si elles sont présentes bien sûr et assez violentes. Ne voulant pas rester sur une déconvenue pareille, les Beatles sur proposition de Paul, décident de sortir un dernier album, un grand album, digne, pour refermer l’histoire, un album où ils veulent faire taire les critiques et montrer tout ce dont ils sont capables, mais pour cela, « il faut d’abord raccrocher les gants de boxe » (dixit Paul). Ca sera Abbey Road qui a eu la particularité de paraître avant Let it be, une fin heureusement en apothéose, avec l'aide de George Martin et de Geoff Emerick de retour aux commandes.