Pearl Jam est enfin de retour. Après avoir soutenu un rythme très régulier dans la première partie de sa carrière, le groupe de Seattle s'est peu à peu assagi, espaçant ses sorties et surtout minimisant les prises de risque, notamment en studio. Ainsi, l'album de 2006, surnommé Avocado par les fans, montrait pour la première fois un groupe toujours en forme certes, mais désireux de rester dans ce qu'il connaissait : un rock "adulte", très efficace mais sans cette petite touche de folie, cette originalité qui fit la grandeur d'albums comme Vitalogy, No Code ou même Riot Act. Le suivant, Backspacer, était quant à lui carrément médiocre, puisque tout en continuant dans cette voie très "safe", il ne proposait tout simplement rien de marquant, et était gâché par un ton trop positif, popisant par moments. Quatre ans et de longues sessions studios plus tard, Pearl Jam accouche finalement d'un nouvel album, annoncé "better, darker", que son prédécesseur. Qu'en est-il ?
La première bonne nouvelle, c'est que le groupe semble enfin s'être décidé à sortir de sa zone de confort, à nous proposer autre chose, du neuf. C'est bien simple, chaque morceau sonne différemment, ce qui est à la fois la plus grande qualité et l'un des défauts de cet album très intéressant. Getaway commence pourtant l'album de manière assez classique, un "simple" morceau rock, et pourtant l'un des meilleurs de l'album, tant le groupe semble ici en vouloir, et retrouver une inspiration qu'on croyait perdue. Le meilleur opener depuis Riot Act et son entêtant Can't Keep. Vient alors le single Mind Your Manners, dans lequel Pearl Jam balance tout ce qui semble lui rester de punk pour livrer un morceau court, brutal, faisant directement écho à Comatose mais aussi à l'illustre Spin The Black Circle (sans s'en approcher bien entendu). A ce stade de l'écoute, on reste en terrain connu, mais My Father's Son bouleverse complètement tous nos repères. Ici, le groupe se rapproche beaucoup plus de tendances post-punk ou new wave : rythme rapide, basse prédominante et guitares ariennes pendant les couplets, refrain dissonant, et un chant d'Eddie Vedder surprenant, comme on ne l'espérait plus. Enfin Pearl Jam ose à nouveau, s'autorise de la folie, malmène quelque peu l'auditeur.
Après ce trio d'intro plutôt rock, changement brutal avec Sirens, second single, une power ballad très 80's dans l'arme, avec des accents pinkfloydiens, et un très beau solo de Mike McCready, qui offre d'ailleurs de très belles performances sur l'album, après avoir été fort en retrait sur Backspacer. Le morceau est complètement atypique dans la carrière du groupe mais devient étrangement addictif après plusieurs écoutes et se révèle finalement une bonne surprise, malgré sa production très lourde. Lightning Bolt, première plage titulaire de l'histoire du groupe, est en revanche un morceau de Pearl Jam "classique", renvoyant à la fois à Unthought Known (le début en palm mute et la mélodie assez positive) avant de partir dans un segment très rock qui n'est pas sans rappeler les Who. On regrette encore une fois une production hasardeuse, avec des claviers qui viennent un peu dans tous les sens et un très laid fade out. On comprend alors que Lightning Bolt est un album sans vraie logique, pas de fil conducteur, pas de son global, les membres du groupe balancent un peu ce qu'ils veulent, pour un résultat déroutant par moments.
Ainsi, la paire suivante est probablement ce que l'album offre de plus original, mais aussi sans doute de plus réussi. Deux morceaux écrits par la paie emblématique Jeff Ament (bassiste)/Stone Gossard (guitariste). Infallible est construite autour d'une rythmique lente, très lourde, d'un son assez obscur, des guitares indéfinissables là où la basse, groovy à fond, semble dominer l'ensemble (à noter qu'Ament est très présent sur tout l'album et nous offre enfin des lignes de basse à nouveau mémorables). Un son presque Queensofthestoneageien, qui contraste avec un refrain presque... Pop, il faut le dire. Quant à Pendulum, c'est tout simplement le morceau le plus "expérimental" du groupe depuis Riot Act. Très sombre dans ses paroles comme sa musique, il est aussi étonnamment ambiant, les instruments s'ajoutant comme autant de couches à l'ensemble sans qu'aucun ne domine jamais. Là encore, on ne peut qu'admirer les parties vocales de Vedder, malgré un gimmick vocal plutôt dispensable vers la fin du morceau. Swallower Whole renoue avec des atmosphères plus positives, mais on est davantage proche d'Into The Wild que de Backspacer ici. C'est un morceau très folk, assez aérien, dynamique, de belles envolées dans la mélodie. Tout en discrétion et pourtant l'une des plus grandes réussites de l'album. Arrive ensuite Let The Records Play, qui voit une nouvelle fois Pearl Jam s'essayer à des choses nouvelles, à savoir du blues rock "stompy", très sudiste dans l'âme, dont on saluera le caractère très énergique ainsi que le final et son solo crasseux (encore un fade out, brrrr).
Le morceau suivant est sans doute celui qui laisse le plus perplexe : Sleeping By Myself. Une remise en contexte s'impose : c'est à l'origine un morceau paru sur Ukulele songs, l'album solo entièrement voix-ukulele d'Eddie Vedder. Apparemment particulièrement touché par le morceau, le producteur Brendan O'Brien aurait insisté auprès du groupe pour qu'ils incluent la chanson sur l'album, en la réorchestrant avec le groupe complet. Dur de décrire l'effet qu'a cette chanson à la première écoute, on a d'abord l'impression que le groupe fait une petite blague, un petit délire (après tout, on repense à des tracks surprenantes des précédents albums, comme le "red dot" de Yield), mais SBM est un peu trop longue et trop soigneusement arrangée pour que "l'effet gag" ne fonctionne vraiment. Ce n'est pas vraiment un morceau détestable, mais on ne sait pas vraiment quoi en penser, il ne semble pas avoir sa place ici. Yellow Moon évoque à nouveau Into The Wild, c'est pourtant une composition de Jeff Ament. On a en tout cas affaire à une belle ballade accoustique, très posée et lyrique, encore une fois un morceau qu'on pourrait croire mineur, et qui pourtant arrive à émouvoir. L'album se clôt avec Future Days, un autre morceau renvoyant à Backspacer (Just Breathe et The End), l'intro au piano d'un goût discutable cache un morceau en vérité plutôt agréable, une love song de Vedder sans grande ambition mais qui se laisse écouter. On aurait aimé quelque chose de plus consistant pour finir.
Lightning Bolt est, dans l'ensemble, un album qui fait vraiment du bien. Oui Pearl Jam est toujours capable d'écrire de bons morceaux, de prendre des risques, d'apporter de l'émotion. Mais pour la première fois de sa carrière, le groupe livre un album incohérent, partant un peu dans tous les sens, là où toutes ses précédentes productions semblaient suivre un fil rouge, malgré l'éclectisme musical. Est-ce un vrai défaut dans la mesure où les morceaux sont bons ? S'il fallait marquer les faiblesses de l'album, il conviendrait davantage de mettre en évidence une dernière partie peut-être moins percutante que le reste, et surtout une production parfois assez limite de Brendan O'Brien. Le producteur historique du groupe peut-être remercié pour son travail sur de grands albums comme Vs ou No Code, mais il serait peut-être temps qu'il arrête les frais. Pour le reste, Lightning Bolt est une réussite, certes on n'atteindra plus jamais le niveau des 4 premiers albums du groupe, mais les gars de Pearl Jam montrent qu'ils en ont encore dans le ventre, et qu'ils n'arrêteront sans doute pas le rock de sitôt. On leur souhaite en tout cas.