Un bien fou
Difficile pour moi de critiquer un tel album qui sort complètement de la musique que j'écoute habituellement mais qui me fait un bien fou Voilà, c'est ça, tout simplement. Ça me fait du bien. C'est...
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le 28 oct. 2023
De même que la lumière n'est rien sans ombre, la création n'est rien sans ambivalence, sans aspérités continuelles, sans doutes et sans folies. Dans les tourments d'une existence divinement humaine, le devin musicien continue sa phénoménale et pourtant si humble exploration sonique, sa quête spirituelle vers des sens en perpétuel mouvement.
Bien rares sont les artistes à sonner aussi frais qu'à leurs premiers méfaits au bout de 25 ans. Et pourtant voilà qu'apparaît, moins d'un an après les mal-reconnus The Puzzle/Snuggles, Lightwork, la 25ème (!) métastase studio du canadien protéiforme Devin Townsend, pilier du metal progressif dans sa terminologie la plus libre, homme-orchestre au cœur immense dont les débuts frénétiques ont peu à peu laissé place à une personnalité plus fragmentée, complexe ... passionnante et infiniment humaine. Il serait bien trop long de faire l'étalage des exploits acoustiques de Heavy Deavy, mais de sa carrière on retiendra la foisonnante manne mélodique, mais surtout la singulière extravagance, l'épique épopée d'un esprit hyper-actif propulsé malgré lui dans une quête tantôt rutilante et sombre, tantôt sereine et lumineuse, vers le sens de cet étrange existence.
Avec le contexte étouffant de la pandémie -période durant laquelle Devin n'a jamais autant créé et proposé de concepts, au grand péril de sa quiétude mentale peut -être, Sir Townsend avait le besoin de purger ses démons et ses périls à travers une succession de titres optimistes, plus racés qu’auparavant, orientés vers une accessibilité toute assumée. Pour la première fois épaulé par un producteur additionnel (Garth Richardson), Devin a assumé avec Lightwork une soif de simplicité qui trouve toute sa cohérence thématique à travers l'image du phare dont la clarté salvatrice perce les épaisses ténèbres de l'âme.
Lightwork est bien un album cathartique, loin d'être anecdotique pourtant car derrière son apparente trivialité se dissimule une synthèse ahurissante de toutes les influences, scories psychiques et joutes musicales qui caractérisent Devin. C'est en pensant l'album Lightwork avec son compagnon Nightwork (proposé en "disque bonus"), que la richesse et la finitude de l’œuvre prend tout son sens - Il serait bien dommage de passer à côté des deux albums tant ils forment une seule facette d'un témoignage d'amour aux feux éclatants.
Comme l'a été Empath en 2019 (mais de manière plus rauque et ahurie), les morceaux qui composent ce diptyque distillent énormément de choses difficilement compressibles en quelques mots. En y appliquant un regard rétrospectif, on retrouve la catchiness d'Addicted dans un riffing parfait -faut-il encore le préciser ?!- et les frissons liturgiques d'Epicloud à travers des hymnes majestueux (Moonpeople, Lightworker, Hope in the World, Call of the Void), la fureur d'un Zeltoid ou d'un Deconstruction dans quelques enjambées métalliques bestiales (Starchasm pt 2, Dimensions), l'éternité suspendue de Ghost ou de Causalities of Cool (Yogi, Equinox, Sober, Carry Me Home). Le chaos électrostatique de The Puzzle est parfois tout proche (l'ubuesque Precious Sardine), le flirt industriel avec l'ère Strapping Young Lad est quasiment là aussi (Factions et Stampys Blaster) mais un contre-balancier permanent emmène les morceaux vers des contrées nouvelles.
L'aspect "song oriented" de certains titres est parfois là et rebutera sûrement les plus proggeux des Devy-fans, mais le kitsch spontané et la charge émotionnelle si vive des partitions prend rapidement le dessus : comment ne pas vibrer devant le refrain de Lightworker, comment ne pas s'oublier sur les remous d'un Heartbreaker ? Il est clair que Devin Townsend n'a jamais composé de denrées musicales à but commercial (et lucratif), et cela n'est pas prêt de changer. Sa musique vient du fond du cœur et de la conscience, et suit le flux de son existence. De même, la musique de Devin a toujours été agrémentée d'une grosse louche d'émotivité pop, de classicisme névrosé et de rêveries ambiant (en attestent ses récentes Guitar Improvisation #1/2/3), et c'est du Devin pur jus qu'on retrouve là aussi, dans une version plus veloutée et aboutie qu'auparavant -Devin est un programme de dépassement de soi à lui tout seul !
En écartant un ou deux titres sympathiques mais plus anecdotiques (la sucrée Vacation, le délire Boogus) C'est finalement à la grandeur émotionnelle d'un Terria et à l'impact sensoriel d'un Ocean Machine/Infinity qu'on peut rapprocher certains pans sonores en total état de grâce, comme Children of God (et son pendant possédé Children of Dog) ou Celestial Signals. La production est très fine, moins "wall of soundish" qu'à l'accoutumée mais c'est parce que derrière l'épuration des partitions, Devin Townsend a concentré dans un halo lumineux tout ce que sa pop metal avait de plus puissant. Quelque chose de magnétique, de naturel, d'évident.
Bien que l'écoute soit fraîche encore, il ne reste déjà que peu de doute quant à l'étoffe de Lightwork/Nightwork : un nouveau chef d’œuvre hautement mémorable à ranger dans une malle aux trésors gavée de gemmes musicales qui balaient les styles et les émotions. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Devin Townsend réussit une fois de plus à recréer le monde et à le transcender, dans la paume d'une main. Et c'est bien l'esprit irisé de lumière que l'on ressort de ce voyage-somme. Pourt tout celà et tant de non-dits encore, merci mille fois, Devy, et à très vite.
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le 3 mars 2023
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