On est en 2003. Ou 2004, je sais plus. Par là quoi. J'ai les cheveux jusqu'aux épaules, mais pas encore assez de poil au menton pour me la péter. Je suis enfin sorti de ma période Korn, Slipknot et compagnie. J'ai arrêté le skate aussi, mais ça on s'en tape à la rigueur. Parmi d'autres choses plus ou moins bien, plus ou moins récentes, plus ou moins variées, j'écoute pas mal des groupes comme Rancid, Sublime, ou dans un autre style Mano Negra ou Sergent Garcia. Autant de musiciens qui se réclament de l'influence du Clash, que je ne connais à l'époque que via Rock The Casbah (dont je suis toujours pas fan aujourd'hui) et Should I Stay Or Should I Go (déjà mieux). C'est mon père, à qui je dois pas loin de la moitié de ma culture musicale actuelle, qui m'a prêté un jour London Calling, convaincu que ça devrait me plaire. OK pourquoi pas. Je tente le coup.
Déjà la pochette. Putain de photo débordant de puissance, de rage... Une photo que si tu voulais la mettre en scène, tu pourrais pas. Du coup ça part bien. Petite précision : à l'époque j'étais pas du tout au courant que c'était un pastiche d'une pochette d'Elvis, mais de toute façon ça n'enlève rien à sa puissance.
Je glisse la galette dans mon lecteur CD, et là boum !
Poum poum poum poum pim pim pim pim ! Ça a pris à peu près trois secondes : je suis fan. L'intro de London Calling est une des plus réussies que j'ai pu entendre de toute ma vie. On perd pas de temps, on rentre directement dans le vif du sujet avec ces deux accords aussi simples qu'efficaces, aussi beaux que déterminés. Strummer balance ses paroles aussi rageuses que déprimées avec une sincérité touchante.
À peine tu es remis de premier titre que les salauds remettent ça aussitôt avec Brand New Cadillac, histoire de bien enfoncer le clou. Un peu de répit avec Jimmy Jazz et ses accords dissonants (une de mes préférées de l'album, au cas où ça voudrait dire quelque chose). On part ensuite sur du Diddley beat enjoué et décalé avec Hateful et Rudy Can't Fail...
Enfin je vais pas faire un résumé chanson par chanson : ce serait fastidieux et inutile. Pour décrire cet album, il me vient en tête une citation du grand Jackie B. : "C'est un bordel, mais agréable tu vois." Il y a pas deux chansons qui se ressemblent. Toutes les influences sont brassées : ça va du rockabilly au reggae, en passant par le jazz, le ska et le rythm 'n' blues. Lors d'une réécoute récente, je me suis dit que le Clash devait aussi beaucoup aux Kinks, sur des titres comme Death or Glory ou The Card Cheat.
L'album possède cette fraicheur, cette spontanéité inimitables. T'as vraiment l'impression d'être en studio avec les mecs, affalé dans un vieux canapé défoncé, une bière dans la main un mégot dans l'autre, à les écouter jammer et enregistrer les chansons en direct. Les mecs se posent pas de questions. Ils font ce qu'ils veulent quand ils le veulent. Hop un coup de trompette par ici, hop un coup de clavier par là.
Un truc que j'adore sur cet album, c'est la richesse du son. Il y a toujours en permanence au moins 5 ou 6 pistes, sans jamais que ça devienne lourd, mais au contraire en donnant une impression de vie, comme si l'album était improvisé en direct à chaque nouvelle écoute.
Après leurs deux premiers albums très ancrés dans le punk-rock, les membres du Clash s'aventurent dans un peu tous les genres, ne s'imposant aucune barrière. Et ils réussissent avec brio. Strummer et Jones se complètent parfaitement derrière le micro, et ils laissent même Simonon pousser la chansonnette sur l'excellent reggae Guns Of Brixton.
Oh et puis merde. De toute façon London Calling c'est pas un album dont on parle, c'est pas un album sur lequel on écrit, c'est un album qu'on écoute. Point barre.