Chaque époque a son groupe phare, combinant la justesse de l'attitude (politique, ou simplement morale) et la parfaite adéquation de la musique avec l'air du temps. La fin des seventies a donc eu The Clash, beaux, enthousiastes et passionnés, conjuguant au présent l'éternelle révolte rock.
Apparus au milieu du brasier londonien de 1976-1977, les Clash ont tout de suite compris que le mouvement punk pouvait être rapidement symbole de stupidité s'il n'embrassait pas les causes essentielles de son époque : la lutte contre les politiciens rétrogrades, le rejet inconditionnel des idéologies rances comme celle du National Front, le soutien aux exclus dont le nombre commençait à enfler dans nos sociétés bien nourries. Et qu'il allait être difficile de mener ce combat-là seulement avec deux guitares saturées vomissant un seul accord sur des brûlots de moins de deux minutes. Et aussi, et surtout, que la musique - comme tout Art qui compte - ne saurait être amnésique. En 1979, après deux années de guérilla urbaine qui ne semblait plus mener nulle part, Strummer, Simonon, Jones et Headon virent que l'ouverture au monde, aux autres musiques, apporterait un souffle nouveau, indispensable même, à leur musique, puisque dire NON et se moquer ne saurait constituer un programme ("He who fucks nuns will later join the Church"... comme il sera clairement explicité sur "Death or Glory", l'un de leurs plus beaux nouveaux titres...). Enfermés en studio avec ce fou furieux de Guy Stevens, influence minoritaire mais pourtant essentielle sur la genèse de l'album, ils réalisèrent "London Calling", un disque qui changera pour toujours son époque. Et qui sera, comme toute oeuvre d'art importante, un phare.
Car "London Calling" est pour toujours le manifeste de cette jeunesse qui, ayant vu les idéaux des sixties s'abîmer dans le cynisme, n'a pas choisi l'abandon ou la fuite en avant. Réconciliant idéalement racines (rock'n'roll, reggae et ska en particulier) et modernité, choisissant de raconter des histoires plutôt que d'asséner des slogans, célébrant les icônes d'hier (Presley, Montgomery Clift) comme nos égaux, ces chansons - pour la plupart belles à pleurer, et pourtant infiniment joyeuses - resteront peut-être le témoignage le plus fort que notre génération laissera derrière elle.
[Critique écrite en 2011 et complétée en 2017]