Après Dalmak, Esmerine quitte la Turquie et revient à l'essence même de sa musique. Même si le Post-rock des Canadiens, entre musique de chambre et ambiance électrique possède toujours en plus ce petit goût d'ailleurs.
Doit-on encore rappeler les faits ? Esmerine est le projet de Bruce Cawdron, percussionniste de Godspeed You ! Black Emperor et de Rebecca Foon, violoncelliste de A Silver Mount Zion. Presque 15 ans d'existence, 5 albums, en soi Esmerine n'a plus besoin d'être appréhender comme le projet bis de deux membres des plus fameux groupes du label Constellation. Un fait d'autant plus évident que la paire Montréalaise n'a eu de cesse de faire évoluer sa musique en multipliant notamment les rencontres pour finalement aboutir au style - personnel - d'Esmerine.
Avec Dalmak (honoré du Juno du meilleur album instrumental au Canada en 2013), Esmerine avait pris un aller simple pour la Turquie (confrontant son "post-rock" à des instruments traditionnels) ; Lost Voices marque le retour du groupe sur ses terres canadiennes et dans le giron de sa musique initiale qui tisse un lien subtil entre la musique de chambre et le prog rock ; des aspirations instrumentales que l'on qualifiera un peu paresseusement de "post-rock".
En ouverture, The Neighbourhoods , tout en déployant une ampleur digne d'un péplum, utilise justement un des motifs préférés dudit post-rock : la lente montée qui finit par éclater. Lost Voices est naturellement l'album le plus rock du groupe, le plus électrique ; peut-être car le groupe invite plusieurs guitaristes à donner de l'électricité. Autre preuve de ce recadrage "rock", le groupe a officiellement intégré un bassiste : Jeremi Roy, permettant de mieux cerner les contours d'une énergie vagabonde, toujours prompte à prendre la clef des champs. Mais que voulez-vous, Bruce, Rebecca mais aussi Jamie Thompson et Brian Sanderson, (les autres membres du groupe) ont toujours, sous le coude, quelques envies world-isantes. Comme un besoin, sans cesse réitéré, de se dire que la musique, expression libre par essence, ne connaît ni carcan stylistique ni frontière.
Il faut dire que les Canadiens centrent leur musique autour des percussions (tenues par Bruce et Jamie) et dans l'association violoncelle / violon (avec Sophie Trudeau de GY!BE violoniste invitée sur 4 morceaux). Et dans les deux cas, la tentation de donner une touche ethnique arrive vite. Esmerine favorise ainsi les marimbas et le vibraphone dans une utilisation qui peut évoquer aussi bien Steve Reich que le Peter Gabriel de Real World. Quant au violon, les thèmes épanchés par Sophie Trudeau donnent une saveur orientale voire extrême-orientale (un petit côté Ryuichi Sakamoto) à leur musique par ailleurs très occidentale. Ces parfums d'ailleurs, distillés avec finesse, donnent cette touche si particulière qui fait que la musique d'Esmerine ne ressemble à aucune autre. Ou presque.