Passage de couleurs
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L’apparition de Lana Del Rey sur la scène musicale en 2012 a provoqué autant d’exclamations admiratives que de gloussements ironiques. Il faut dire que malgré l’indéniable qualité de l’album BORN TO DIE, il y avait de quoi s’interroger sur la suite à donner à une carrière qui semblait déjà s’enfermer dans le cliché d’une vamp cinématographique et volontairement caricaturale. Les deux albums qui ont suivi n’ont pas donné tort aux sceptiques mais ont bien au contraire cristallisé le personnage en déclinant, avec quelques variations musicales, ses thématiques fétiches. Vieil Hollywood et poupée de celluloïd. Amours problématiques et Amérique fantasmée. Les deux premiers titres extraits de ce nouvel album semblait aller, encore, dans le même sens. Et pourtant.
Malgré les apparences et les obsessions de son interprète, LUST FOR LIFE est un album bien de son temps, une photographie d’une Amérique qui doute. L’objet de toutes les angoisses –Trump– n’est jamais explicitement nommé ; il est cependant omniprésent. Par son machisme, dans God Bless America (And All the Beautiful Women In It), dont le refrain grandiose appelle les femmes à rester dignes et libres dans une nuit qu’on imagine métaphorique. Par son bellicisme dans Coachella-Woodstock in my mind, dans laquelle l’évocation des festivaliers de 1969 (année érotique), de leurs fleurs et de leur insouciance, contraste avec les doutes de 2017 (année chaotique). Enfin, le passé fantasmé dont Del Rey était l’ambassadrice sert de miroir à notre époque troublée. La lumière jetée sur une époque révolue pour mieux souligner les ombres actuelles. La fin de l’innocence.
Dans When The World Was At War We Kept Dancing, la chanteuse pose la question frontalement : “Is it the end of an era? Is it the end of America?”. L’évolution est de taille pour celle qui, il y a peu, s’affichait en héroïne lynchéenne ou en Marilyn Kennedy dans ses clips.
La réponse à cette question est cependant loin d’être celle attendue ; et là encore, LUST FOR LIFE marque une grande évolution. Adieu le spleen, adieu les amours suicidaires et la nostalgie vaporeuse : Lana Del Rey se pose en femme optimiste et attachée aux « happy ends », plus américaine que jamais en somme, qui chante les salles de bal comme lieu de résistance et l’espoir contre les réactionnaires. La pochette de l’album, sur laquelle s’étale un immense sourire cerclé de fleurs, était une première indication de ce revirement.
Pour la première fois dans sa carrière, la chanteuse abandonne partiellement l’introspection. Si angoisses il y a dans les paroles, elles sont avant tout collectives comme en témoigne la multiplicité des duos sur la galette. C’est la première fois que la cohérence de son univers artistique fait place à des invités, et l’exercice est d’autant plus réussi qu’il n’est pas gratuit. Ainsi, si l’on peut douter de l’utilité d’A$ap Rocky sur Groupie Love (titre sensuel et dérangeant sur l’érotomanie), Stevie Nicks, The Weeknd et Sean Lennon offrent de beaux moments de dialogues musicaux.
Del Rey, poupée plastique mais pas figée, change. Elle le constate lucidement dans la chanson du même nom ainsi dans la chanson de clôture (merveilleuse Get Free). De ces deux joyaux intrinsèquement liés ressort l’envie de prendre les rênes et de ne plus subir. Le changement est une bombe dont peut surgir aussi bien la mort qu’un feu d’artifice. Qu’importe : elle se dit prête à l’accueillir. Dans un monde qui fait peur, elle prend le parti de l’espoir. Toujours à contre-courant, mais plus que jamais elle-même.
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le 27 juil. 2017
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