Mademoiselle Anne Sanglante Ou Notre Nymphomanie Auréolé, c'est une épreuve. Cet album, c'est un OMNI (Objet Musical Non-Identifié), une sorte de rite de passage de la musique à l'extase sonore. C'est la définition du bruit, de l'inécoutable, du suicide rituel du goût pour la musique ; car cet album, c'est un monolithe à l'expérimentation sonore, un avatar musical de la pierre noire de 2001 : L'Odyssée de l'espace ; cet album, c'est de la non-musique.
Yamazaki Maso est, dans la japanoise, une sorte d'autorité tutélaire, une figure mythique et anthologique du genre. Masonna en est son incarnation terrestre (osez me dire que cet homme n'a pas des allures divines dans l'exercice de cet art) au milieu du foisonnement de groupes que son inventivité a pu générer. Masonna, c'est l'acronyme du nom de cet album et c'est la prolongation du nom de scène de l'artiste (preuve en est de tout l'affection qu'il lui porte), comme c'est un calembour pour tourner Madonna en dérision (Onne = femme en japonais ; Masonna parle donc d'une femme masochiste, on ne va pas chipoter sur l'onomastique pour savoir de qui il parle, vous avez bien compris.) Masonna en concert, c'est parfois un set de quelques secondes, qui consiste en rien de moins que Yamazaki Maso qui saute hystériquement comme un dégénéré habité par tous les démons de tous les folklores terrestres réunis tout en détruisant son matériel à petit feu. Yamazaki Maso est un humain légendaire, oxymore qui n'en est plus une lorsque l'on parle de lui.
Mademoiselle Anne Sanglante Ou Notre Nymphomanie Auréolé, c'est de la folie furieuse ; c'est la perte de toute notion rythmique, l'oblitération de toute ligne mélodique ou harmonique, la suppression de la tonalité, c'est peut-être même l'absence de parole dans ce magma de braillement suraigus ; l'art conceptuel dans toute son envergure. C'est le résultat du broyage conjoint de tout ce qui peut faire musique dans une même composition, qui se fera honneur en retour de broyer votre raison. Dans ces débordements de déstructuration instrumentale et de grésillements de chaîne hi-fi cassée, ne reste plus qu'une cacophonie entrecoupée des vociférations démentes de Maso ; toutes les pistes sont brouillées, quasiment toute velléité d'interprétation réduite à néant. De la musique où plus rien n'est musical. Est-ce encore de la musique ? Selon vous, n'est-ce que le rituel bruitiste d'un compositeur naïf et inexpérimenté ou la redéfinition de l'art sonore par un incommensurable génie musical ?
Possibilité de réponse : Maso vous a libéré un passage vers la compréhension sonore, à l'instar de Zarathoustra avec Dieu et l'homme il vous a expliqué ce qu'il restait du son et ce qu'il allait devenir après la mort de la musique ; ici l'entropie, la destruction du signifiant pour mieux expliciter le signifié unique qu'il reste à tout ça : la musique est morte, les sons s'émancipent pour ne plus devenir qu'un terme générique ; ils prennent leur liberté pour mieux se soumettre à l'expérimentation et dépasser leur tutelle musicale. A défaut de brouiller les pistes, Maso vous en a offert de nouvelles ; emparez-vous de ces sons, créez à votre tour, les sons désormais vous appartiennent, puisqu'ils sont universels, et qu'à l'instar du monde qui vous entoure vous êtes, à l'issu de cette écoute, devenu fou.