"I'm just a young black male, cursed since my birth"
On dira ce qu'on veut de 2pac : D'aucun diraient que sa mort l'a propulsé vers une reconnaissance sur-proportionnée, seraient tentés de le réduire à une sorte de cliché gangsta-rap, de réduire sa portée artistique au simple son west-coast, à coté de Dre, Ice Cube et autres.
Pour moi c'est clair cet album est incontournable. C'est un jalon de la mythologie Hip-Hop.
Déjà de son vivant, Tupac a écrit sa propre légende, les embrouilles avec Notorious BIG c'est l'archétype du clash West Cost/Est Coast. Chronologiquement, le contexte de production de l'album accentue la perception de ce mythe de la Thug life : Il s'agit en fait d'une compil de titres écrits après la tentative d'assassinat dont il réchappe de justesse (que l'intro reprend sous forme de flash infos), l'album sort en 1995 alors que Tupac purge une peine de prison pour agression sexuelle. Il sera assassiné un an après.
Musicalement, cet album est très réussi. Après, on aime où on aime pas le style G-funk, les claquements de caisse claire, les grosses basses fuzz, les guitares Wah-wah, les instrus minimalistes : C'est brut quoi. Les voix de meuf mielleuses confèrent à certaines chansons un côté un peu désagréable. Les hooks sont assez basiques, pas tellement attractifs, ils ont surtout un rôle de faire valoir et quand le verse reprend, ça tue. Le flow de 2pac est impec, puissant sans être agressif, très rythmé, fluide, il a un vrai rôle de percussion. Parfois très accrocheur comme sur "If I die 2nite", qui est pour moi le chef d'oeuvre de l'album, plus empathique sur "too many tears", dansant sur "F... the world", typiquement G-Funk.
Tout ça fait un bon album, mais en quoi est-il exceptionnel ?
Car il écrit un mythe. Il incarne un vrai personnage de mythologie, un héros de tragédie, prisonnier la condition des afro-américains, toujours rattrapé par la vie du ghetto. Il évite l'écueil des egotrips imbuvables, du mélodramatique à outrance. Même si indirectement on peut voir une critique sociale, 2pac ne cherche pas d'autre coupable que lui-même, sans pour autant victimiser. Il crée un héros maudit, qui lutte contre son destin mais qui sait que ses efforts sont vains. Le thème de la mort est omniprésent ("If I die 2nite", "Death around the corner), présenté de façon tragique, comme celui de la malédiction (Young niggaz, "Heavy in the game"). Les thématiques du succès et de l'argent sont traitées sous l'angle de la vanité. Chaque morceau est une introspection qui retrace une décente aux enfers. De l'enfance à la mort.
"Me against the world" c'est un délire paranoïaque. 2pac, héros maudit est condamné à la solitude, à l'incompréhension ("If I die 2nite, "me aganist the world"). "Dear mama" et "Can U get away" sont à la fois des messages d'amour et des messages d'adieu. En cela cet album n'est ni optimiste ni forcément pessimiste : Il est pathétique, fataliste. L'amour côtoie la haine, le désir, la repentance. C'est une forme d'exorcisme, d'expiation. L'esthétique de l'album accentue ce effet. On voie 2pac entre ombre et lumière, comme un spectre dans un nuage de fumée, le regard à la fois sûr et triste, distant. On s'attend à le voir s'évaporer. Au verso de l'album, un gros plan sur le haut du corps, tatoué d'une grande croix. On y trouve un coté menaçant mais également tragique, la tête légèrement baisée, on l'imagine agenouillé, comme attendant le jugement divin. C'est en ça que cet album est un chef d'oeuvre : C'est un récit mythologique, une pure oeuvre de fiction cependant corroborée par les évènements de la vie de Tupac. C'est une légende Hip-Hop.