Meddle
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Meddle

Album de Pink Floyd (1971)

Après l'accueil critique complètement dégueulasse de la part de la presse musicale pour son cinquième album Atom Heart Mother (malgré son succès commercial important) en 1970, Pink Floyd semble perdu: Roger Waters l'admet même dans une interview consacrée au groupe en septembre 1970: "J'en sais vraiment rien. Je n'ai aucune idée de ce qui va suivre." Le résultat est le suivant: Meddle, l'un des meilleurs et plus importants albums de l'histoire du rock progressif, du rock, voire de la musique en général.

Le disque suit plus ou moins les mêmes règles logistiques que leur album précédent: quelques petites chansons sympatoches d'un côté et une épopée musicale, une fresque sonore sublime, de l'autre. Et, à mon sens, comme pour Atom Heart Mother, Meddle s'avérera une réussite totale, du début à la fin.

Un petit mot sur la couverture: quand j'ai d'abord découvert cet album, j'avais l'impression que l'illustration de la pochette décrivait une échographie d'une tumeur ou de je ne sais pas quoi comme saloperie. Ce n'est qu'en achetant le vinyle plus tard que j'ai compris qu'il s'agissait bel et bien d'une oreille sous l'eau, et tant mieux, car je pense que la couverture aurait été encore plus immonde si le groupe avait décidé de suivre l'idée originale du graphiste d'Hipgnosis, Storm Thorgerson, de photographier le cul d'un babouin. Un cul de babouin? Tu te fous de ma gueule, Storm, toi qui as réalisé les plus belles pochettes d'albums des années 70? Non, franchement, savoir cela me permet d'apprécier davantage cette couverture, hélas moins inspirante que celle d'Atom Heart Mother.

La Face A commence par un hurlement de vent, sombre et mystérieux. À noter que ce vent est une marque de fabrique du Floyd, qui servira de transition sur plusieurs autres albums du groupe par la suite, en particulier Wish You Were Here. Puis une basse, jouée par David Gilmour énergique et lugubre, s'installe pour annoncer l'explosif instrumental qu'est One of These Days. Elle sera rejoint par une autre basse (celle de Waters), un piano de Richard Wright passé à la cabine Leslie, ainsi que la guitare électrique de Gilmour, créant une introduction rythmique tout à fait engageante, qui donne tout de suite envie de taper du pied. C'est subséquemment un pont un peu expérimental qui prend le relais où l'on entend des effets audio légèrement insupportables, comme le vibrato qui fait ce du-du-du-du-du-du complètement flippant, et surtout l'une des seules contributions vocales de Nick Mason, passée au ralenti, qui grommelle "Un de ces jours, je vais te couper en petits morceaux!" Apparemment, le batteur l'aurait entonné en falsetto avant d'y appliquer les modifications sonores. Juste après part une section hard rock complètement déchaînée qui fait sans aucun doute partie des meilleurs moments de la discographie floydienne. Waters accélère le rythme, Mason tape comme un fou sur sa Ludwig, Wright ponctue le passage avec son orgue et, surtout, Gilmour nous offre un jeu de guitare agressif et exceptionnel, caractérisé par des cris stridents passés en feedback. Cet effort collectif est une réussite sans nom et tous les membres contribuent à nous donner envie de danser et de s'éclater sur cette outro totalement superbe et déchirante, qui devrait suffire à récompenser ceux qui n'ont guère apprécié le pont de la chanson. Le vent synthétique du début revient pour servir de transition entre One of These Days et A Pillow of Winds, une belle petite ballade folk du même registre qu'If. J'ai trouvé la ballade moins émotionnellement chargée qu'If, même si je l'adore tout autant: les petites exclamations de guitare électrique, mêlées à la guitare acoustique et piano entraînants et la douce voix de Gilmour, offre une ambiance joviale et apaisante. Fearless, le morceau suivant, est, lui aussi, un succès: le riff principal, de teneur folk, transmet sans difficulté la détermination, le courage, le manque de crainte que veut insinuer le titre de la piste. Jamais les mots s'étaient aussi bien traduits en musique: on comprend tout de suite de quoi il s'agit. La douce voix de Gilmour revient apporter une atmosphère intime et indulgente, à laquelle se mêle admirablement bien des soupirs de la part de sa guitare électrique, remplis d'espoir. Bref, ce sont cinq minutes d'émotion qui remplissent ce très beau morceau, le seul potentiel regret pouvant être l'inclusion des choeurs de You'll Never Walk Alone au stade de Liverpool vers la fin de la chanson. La piste suivante est une très grande surprise: San Tropez est un jazz tranquille et relaxant composé par... Waters! Bon, ce n'est peut-être pas aussi surprenant en sachant que le bassiste avait aussi écrit l'excellent Biding My Time (sorti sur la compilation Relics la même année et figurant l'usage d'un trombone!). En tout cas, c'est une bien agréable surprise: bien que ne faisant pas partie du registre habituelle de Waters, San Tropez reste une plage tout à fait honorable, pour son rythme apaisant mais aussi pour son outro au piano très lyrique de Wright, extrêmement jouissif, qui trace déjà le chemin pour l'admirable Wot's... Uh The Deal, sorti sur Obscured by Clouds l'année suivante. La Face A se termine par Seamus (prononcé "Shamus"), l'ombre du disque, qui consiste en une blague de mauvais goût de la part de Gilmour. À l'époque, ce dernier gardait le chien de Steve Marriott des Humble Pie, qui s'appelait justement Seamus et aura certainement trouvé marrant d'incorporer ses cris dans une petite chansonnette blues, où dominent guitare acoustique et piano. L'interlude instrumental qui suit n'est pas mauvais en soi, mais force est de constater que l'on n'est pas face à un sommet musical.

...non, le sommet musical, c'est la chanson qui va suivre. Que dis-je, chanson? C'est bien plus, une épopée, une expérience, une épreuve!! J'ai nommé l'un des plus grands chef-d'œuvres de l'histoire de la musique (et je suis sérieux), le grandissime et irremplaçable Echoes!!!

Ping!

C'est ainsi que commence l'un des plus grands moments de l'histoire de la musique, ce célébrissime ping (une note au piano passée à travers une cabine Leslie) qui me donne des millions de frissons dans le dos rien que de l'entendre!!! Puis cette introduction tellement émouvante, où l'on a l'impression que tout est en train de naître, rendue par le contraste saisissant entre ce ping et les notes graves entonnées au piano par Wright, par les slides tout simplement déchirants de Gilmour. Rien que ça, ça me donne déjà envie de chialer. Après une minute et demie d'évolution lente et solennelle, Mason tape sur sa caisse claire et tous entament un thème court mais rempli de grandiloquence, qui indique déjà la voie de ce que sera Echoes: une symphonie fantastique. Un court passage tendu mais tout aussi guindé, où l'on entend les petits coups de cymables, super réjouissants de Mason, s'ensuit, avant que le thème précédent ne refasse apparition, annonçant finalement les deux premiers couplets, timbrés par les douces et mélodieuses voix remplies de mélancolie de Wright et Gilmour, qui assurent l'une des plus belles, si pas la plus belle, performance vocale de Pink Floyd. Les mots qu'ils entonnent sont eux aussi d'une beauté absolument inestimable, le texte qu'a composé Waters étant assurément son plus abouti, son plus beau jamais écrit. Abordant le thème de l'empathie et de la communication, c'est bien plus qu'un texte, c'est une véritable poésie lyrique émotionnellement chargée. Rien que de réciter ces lignes me donnent également envie de pleurer, tellement c'est magnifique! Ces deux couplets parfaitement harmonieux sont ponctués par un riff génial, entamé par Gilmour et Waters, qui semble être de nature orchestrale et pourtant si représentatif de leurs débuts psychédéliques. Succédant ensuite au chant, Gilmour nous offre un solo de Stratocaster complètement déchirant, qui font écho aux sublimes paroles que l'on venait d'entendre, avant de finalement s'enfiler dans un passage funky, dont la rythmique est remarquablement assurée par Waters et sa ligne de basse hyper accrocheuse et un Mason rigide et implacable sur sa Ludwig. L'orgue Hammond de Wright vient régulièrement ponctuer cette séquence, accompagné par des rugissements orgastiques de la part de Gilmour, plus en forme que jamais. Sur ce, je recommande la version de Live At Pompeii, qui est déjà globalement des milliards de fois meilleure que cette version studio (déjà infiniment excellente!), et dont la section funky casse vraiment toute la baraque! Ce passage finit éventuellement par s'estomper, laissant place à une sorte de vent synthétique (déjà rencontré auparavant) auquel semblent se joindre tout plein de cris d'oiseau (l'albatros mentionné au début?) qui créent un vrai climat rempli d'angoisse et de mystère. Pour certains, pour plusieurs, il s'agit de l'ombre du morceau; c'est ce passage qui leur donne envie de mettre un 9 plutôt qu'un 10. Bien que réticent devant certaines de leurs ambiances sonores créées précédemment, j'apprécie énormément cette partie aussi, la trouvant tout simplement géniale. Elle finit graduellement par céder le pas à l'un des plus beaux passages de tout le morceau, avec l'introduction: ce lent mais solide crescendo, solennel et hiératique. Alors que les accords grandioses de Wright se répètent à l'orgue Hammond, que Mason titille ses cymables délicatement, voilà qu'apparaissent de nouveau les pings du début, produisant une ambiance tendue mais quelque peu joyeuse, comme si elle s'empressait de transmettre l'espoir. Cet héroïque crescendo en est pourtant rempli et ne fait que démontrer toute la majesté de cette fresque mirifique qu'est Echoes. La tension atteint son comble et éclate en laissant place à un motif allègre et épique, encore une fois, émotionnellement chargé, joué avec brio par tous les membres du groupe. Wright et Gilmour reviennent en force au chant, entonnant le troisième et ultime couplet, rempli d'une certaine mélancolie: "Et je me jette par la fenêtre ouverte et t'appelle à travers le ciel." Le superbe riff psychédélique retentit derechef pour souligner une dernière fois la beauté époustouflante de ces paroles. La fin d'Echoes est constituée d'une longue outro, où plane désormais la nostalgie, exprimée par des réponses interposées entre guitare et piano de la part de Gilmour et Wright, les deux héros de ce voyage, auxquelles s'associeront des choeurs (synthétiques, crées à l'aide d'une manipulation de stéréos), qui s'occuperont de conclure le morceau de façon magistrale, dans la tristesse écrasante. Et voilà comment se termine l'une des plus belles pièces de l'histoire de la musique, que Wright décrira comme étant, à juste titre, un véritable sommet artistique.

Putain. Quelle aventure mirifique! Je ne vois d'autre choix que de laisser s'exprimer mes sentiments et de pleurer toutes les larmes de mon âme à l'entente de cette plage unique. Vraiment, il faut écouter et ré-écouter Echoes pour comprendre ce que l'on peut ressentir pour une telle chanson. C'est une expérience dont vous n'en sortirez certainement pas indemne et qui fera vibrer même les esprits les plus solides. Et pour vous dire à quel point je suis amoureux de cette pièce, je lui attribue une note, non de 10, mais de ∞. Jamais n'ai-je écouté un morceau d'une telle puissance et beauté, vraiment.

1. One of These Days (10/10)

2. A Pillow of Winds (9,5/10)

3. Fearless (9,5/10)

4. San Tropez (9/10)

5. Seamus (4,5/10)

6. Echoes (∞/10)

(Le gras indique ma chanson préférée du disque)

En conclusion, c'est un 10/10 que j'attribue à Meddle. En faisant la moyenne des notes données aux chansons, on n'obtient évidemment pas ce résultat, mais le mastodonte qu'est Echoes suffit largement pour compenser ce petit manque. C'est un album assurément important dans la discographie du Floyd, qui montre la direction qu'ils prendront subséquemment et définit presque à lui seul le rock progressif, et l'un de mes préférés, tous genres et groupes confondus, juste derrière deux autres chefs-d'œuvres chers à mon cœur, Atom Heart Mother et Tales of Mystery and Imagination. Ping.

Herp
10
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Créée

le 29 sept. 2024

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Herp

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