Un succès pour les éléphants.
Étrange pochette zébrée que voilà, bizarroïde et malsaine, digne d'un Picasso malade et agonisant, qui représente les tréfonds tourmentés de son chanteur, son spleen baudelairien qui n'est autre que le terreau de sa créativité : « Il faut souffrir pour écrire une chanson » a dit Ben Harper. D'autres artistes auraient pu le dire. Neil Young lui-même aurait très bien pu affirmer qu'il faut être gagné par la mélancolie pour écrire une chanson (« On The Beach », et ...à peu près tous ses albums en fait). Mais là, pour l'artiste dont il est question ici, il s'agit de dépression. Et quoi de mieux pour vaincre le mal? Le rock'n roll pardi. Au diable les drogues, l'alcool, les antidépresseurs (Quoiqu'il a dû en consommer...), la musique reste le canalisateur le plus naturel et le plus sain qui soit.
Le rock comme forme d'expression cathartique donc : le premier morceau, « Spiderhead », paradoxalement joyeusement communicatif, permet à Matt Shultz d'exorciser ses vieux démons : « Spiders in my head, spiders in my mind... »... le chanteur à la voix suraigüe et enfantine, digne héritière de l'église des Beach Boys mais en plus rock, étale au grand jour sa dépression par des paroles très suggestives et accessibles, en un mot « Pop ».
Si les Cage The Elephant étaient déjà connus pour leur réputation exceptionnelle de groupe live, que je ne comprendrai réellement qu'en les voyant moi-même en concert (cette année à Rock En Seine), ils montrent ici d'indéniables qualités d'écriture : riffs aiguisés, esprit de fête, énergie débridée, orchestrations magiques de cuivres comme pour célébrer le rock'n roll dans ce qu'il a de plus pur et d'authentique, refrains inoubliables et fédérateurs (« Come A Little Closer »)
« It's Just Forever » parfait rock brut, agrémenté de la participation tout en puissance d'Alison Mosshart, finit en piano jazz – blues, et renvoie à un vieux classique, à savoir l'Aladdin Sane de David Bowie, tout comme « Black Widow » renvoie au meilleur du rhythm'n blues avec sa fanfare irrésistible qui vient achever chaque phrase d'une mélodie cuivrée entêtante, chantonnante et chaleureuse. Bon sang de bon dieu du rock, « Teeth » a un riff incroyable. Cette ligne de basse nerveuse et punk qui lance le morceau... et ce saxophone pachydermique et free jazz qui s'incruste au milieu du morceau, avant une drôle de fin en talk-over, sorte de procession afro-américaine dans la droite lignée d'un Art Ensemble Of Chicago. « Cigarette Daydreams », enfin, vient clore l'album d'une manière qui invite à réécouter le disque en entier.
La production est excellente en cela qu'elle semble servir chaque chanson. Surtout, les instruments sont tous au même niveau, il n'y en a pas un seul qui est mis en avant plus qu'un autre, ce qui renvoie à l'idée que tous les musiciens sont essentiels, indispensables et forment un tout, un vrai collectif, un groupe de rock instinctif dont les membres sont inséparables, corrélés entre en eux par une histoire, une parfaite télépathie, le goût du travail acharné, et une même longueur d'onde.
Les Cage The Elephant ont galéré, et bossé dur pour en arriver là. Il semblerait que le succès leur tend les bras désormais. Les précédents albums, excellents eux aussi, ne constituaient que les fers de lances du meilleur à venir, à savoir ce petit chef-d'œuvre qui comme tous les grands disques se redécouvre à chaque réécoute, ce bijou underground qui semble sorti d'une autre époque, carrefour de multiples influences à la belle cohérence, solide et enjouée.
Ecoutez donc les CAGE THE ELEPHANT, vous ne serez pas déçus.