Mémorable ?
Jazzy Bazz est de retour en solo après une certaine refonte de son style musical et de son attitude sur une instrumentale, qui se présageait déjà dans les derniers singles et le sympathique Private...
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le 9 mai 2022
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Plus de 3 ans après "Nuit", Jazzy Bazz est de retour avec ce qui semble être enfin son album référence. Après des accents très chantés sur les 12 titres du précédent, le revoilà avec 16 titres (17 - l'interlude) de rap et 75% de couplet d'après Rapminerz. Et ce ne sont pas que des chiffres : sur D.ieu, P-Town Blues et Arkham Antem, il se fend même de morceaux sous la forme de couplets uniques. Fort heureusement, il ne se contente pas d'arrêter de chanter, et rappe aussi très bien. Tout cela s'accompagne de prods sensibles et d'une cohérences musicale rare. Voyons cinq clés de la réussite de Memoria, qui sont autant de raisons d'écouter l'album.
Jazzy Bazz a expliqué en interview à Mehdi Maïzi que le fait de côtoyer Alpha Wann l'avait encouragé à se concentrer sur ce qu'il fait de mieux : rapper. On a déjà évoqué ce que ça impliquait sur la structure de l'album et des morceaux. Plus globalement, on a l'impression d'un rappeur qui maîtrise ses flows et sa plume, en assumant son style (littéraire et nocturne) tout en ne faisant aucune concession sur la forme. Le deuxième couplet de Nouvelle 3.14 n'en est qu'un exemple parmi d'autres, mais c'est une véritable démonstration :
Dans un recoin des bas fonds, j'me réfugie dans un monde artificiel / Pour combler mon besoin d'évasion quand la lassitude rejoint l'équation / N'y arriveront que ceux qui ont une totale envie, sans jamais pouvoir le garantir / Les autres se drogueront pour embellir la réalité ou juste tout voir au ralenti
Le reste est au même niveau (sauf peut-être le premier couplet de Sablier ?), et sert encore une fois son propos centré sur les sentiments, les ambiances nocturnes et l'anticipation.
Là encore chez Mehdi Maïzi, Jazzy Bazz explique avoir écrit son album entre films de science-fiction, début du COVID et art graphique. Le moins que l'on puisse dire est que cela se ressent à l'écoute. Les références cinématographiques (Sergio Leone, Le Parrain, The Wire) sont omniprésentes et servent elles aussi le propos. Le tour de force est qu'entre description de Paris la nuit et ode au cinéma, Jazzy Bazz nous parle aussi de ses sentiments, de ses doutes et de sa spiritualité, rendant la plupart de ses textes très universels, comme ici dans P-Town Blues :
Viens faire un tour dans mes pensées, la mélancolie est trop dure à vaincre / J'fais que ressasser le passé, j'ai l'impression d'être au bord du ravin / Mais ai-je envie d'm'éloigner du rebord ? J'ai traîné, j'ai erré dehors, j'ai tout vu mais j'ai laissé agir / Apprécier la vie, c'est même aimer la mort, eux ils la donnent pour déterrer de l'or
En plus d'être lui-même à un très haut niveau, Jazzy Bazz invite des rappeurs qui sont ses proches (on y reviendra) mais qui, par chance, sont aussi excellents. On a donc droit à deux blockbusters avec Alpha Wann et Nekfeu, tous les deux très en forme mais avec qui on aurait finalement pu attendre de meilleurs morceaux. Surtout, la magie opère parfaitement sur les deux feats avec EDGE, mais aussi avec rodbloc que l'on a plaisir à découvrir, et avec Josman dont le refrain chanté tranche parfaitement avec les excellents couplets de Jazzy sur Albiceleste. Sans oublier le meilleur pour la fin : une collaboration assez improbable avec Laylow, dont il dit qu'ils l'ont travaillé avec sérieux. On aurait tendance à le croire vu le magnifique morceau que cela a créé, avec une prod à couper le souffle, des passes-passes entre les deux rappeurs, et un solo de saxophone de son père pour clôturer le tout.
Transition toute trouvée avec notre quatrième point : à l'image de celle de .RAW Spleen, les prods de l'album sont réellement exceptionnelles. Surtout, on peut y trouver une forme de cohérence ou en tout cas de couleur musicale globale, malgré des styles très différents. Celle de .RAW Spleen tranche très nettement avec le banger minimaliste et inquiétant qu'est Arkham Anthem, ou celles de Destinée et Sablier, qui auraient aussi eu leur place sur Nuit, ou sur Les Étoiles Vagabondes de son compère grec. Les instruments utilisés paraissent avoir été enregistrés en acoustique, les sons de batterie sont chauds on trouve des cuivres et un petit de cordes, et des rythmes jazzy (bien vu l'aveugle) et trap : on mange de tout, et tout est réussi.
Dernière raison d'écouter Memoria : pouvoir se délecter de l'évolution des membres de L'Entourage, le groupe originel de toute cette petite clique formé en 2008. Pas besoin de revenir sur les accomplissements musicaux de Nekfeu et Alpha Wann. En revanche, on peut noter le très bon EP Pilot3 de Doums l'année dernière, et bien sûr la renaissance de Deen Burbigo avec l'album Cercle Vertueux et l'excellent EP OG SAN, qui ferait presque passer Memoria pour un échauffement en termes de rap. Dix ans après les Rap Contenders et un unique album commun qui ne restera pas dans les mémoires pour sa qualité intrinsèque, on ne peut donc que se réjouir que la plupart des membres du groupe aient trouvé leur identité musicale, et aient chacun sorti un projet pour le démontrer. Longue vie à Memoria, et longue vie à L'Entourage.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs albums de rap français et Les meilleurs albums de 2022
Créée
le 25 janv. 2022
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