Il y a des découvertes qui changent le cours de notre existence, qui amènent à l'émotion, la rêverie, la lutte, les idéaux. Il y a des artistes qu'on ne peut classer, répertorier, appréhender, comprendre ou même accepter. Il y a tout cela dans ce personnage, Damien Saez, qui de par sa nature et son histoire possède une personnalité hors de commun dans le monde musical. Cet album nous le prouve sous bien des formes. " Messina " se présente donc comme un triptyque, trois disques racontant l'amour, l'évasion, la jeunesse, la société ainsi que les interrogations et les critiques d'un voyageur qui sans cesse se questionne sur le monde qui l'entoure. Semble-t-il avoir choisi l'exil maritime pour mieux exprimer son deuil, la mort de son espoir sur la terre ferme. L'hirondelle s'en est allée vers d'autres océans et le marin parti à sa recherche nous revient dès lors avec des lettres dans sa sacoche, provenant de la cale d'un bateau, ou du moins les planches qu'il en reste. Un livre entier pour raconter et décoder l'intégralité d'une telle réalisation, si complexe et riche, ne suffirait pas. La littérature a toujours été un point d'attache, l'ancre qui lui a permis de poser ses mots sur papier. C'est en chantant " Les fils d'Artaud " qu'il nous rappelle de quelles générations antérieures nous sommes, nous, les futurs oubliés de ce siècle sans talent. Les références musicales viennent également caresser nos oreilles. On ne peut s'empêcher de penser à ce bon vieux Brel dans la nostalgique " Le bal des lycées ", et à Piaf dans " Bouteille à la mer ". Le temps d'un retour à " J'accuse " et son rock révolutionnaire (" Ma petite couturière " et " Webcams de nos amours "), Saez, cet homme de goût, est avant tout un homme du peuple nous rappelant d'où nous venons (" Je suis un étranger ") et où certains sont (" Les échoués "). Nous transportant tantôt dans les écorchures de ses amours passés (" Rois demain ", " A nos amours ", " Les magnifiques "), tantôt dans les travers métaphoriques de ceux-ci (" Betty ", " Marianne "), il en vient à crier ses peines "Sur le quai " des bistrots. L'émotion atteint son paroxysme quant à l'hommage qu'il fait à Nelly et Bruno, deux personnes ayant compté et contribué à devenir l'homme qu'il est, lui faisant découvrir le goût et l’authenticité des choses, dans une société où la consommation industrielle est devenue maitre des lieux (" Chatillon-sur-Seine "). Comme le firent les poètes maudits et incompris avant lui, ce chef d'oeuvre, si vous en doutiez encore, marque définitivement Saez comme étant l'un des auteurs les plus originaux et talentueux de la chanson française, et de l'Art, en général. Il est à espérer que le navire ne coule pas, et qu'il puisse toujours arrivé à bon port, là où d'autres Rimbaud pourront encore débarquer.