Le Blockbuster
Son nom est "Metallica", mais appelez-le "Black Album". Comme du temps des Beatles et leur White Album tiens. Avec le surnom, vient la réputation, non usurpée, tant cet album aura fait naître un bon...
le 23 nov. 2014
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1991, le glam n’est plus, le thrash a espéré sa chute, et elle est devenue réalité. Mais le thrash aussi a capitulé, face à une scène qui a réduit à néant une décennie de débauche, de luxure, d’agressivité, de provocation et de politiquement incorrect, la scène grunge de Seattle, menée par Alice in Chains, Pearl Jam et bien entendu, Nirvana.
Mais au sein de ce ramassis de groupes dirigés par des sex-symbol autodestructeurs et dépressifs en chemise de bûcheron, un groupe, un vétéran des 80’s, une formation plus solide, va sortir son blockbuster, son album monstre. Un album qui va énormément contraster avec le grunge et son côté minimaliste, mais aussi affreusement détonner devant cette nouvelle invasion britannique niaise, herbivore et sensible qu’est la britpop, un album qui évolue dans un genre bien plus viril et significatif de la lourdeur d’une musique contestataire : le metal.
Cet album, c’est Metallica... de Metallica, surnommé respectueusement le black album, en raison de sa pochette entièrement noire, témoignage visuel d'une sobriété étonnante d’un groupe devenu plus mature.
Produit par Bob Rock, un grand nom du hard-rock et ses dérivés (les four horsemen vont faire appel à lui après avoir été bluffés par la qualité de la production de Dr. Feelgood de Mötley Crüe) et succédant à un ...And Justice for All placé sous l'étendard du deuil, de la mélancolie et de la rage, le black album vient adoucir le son du groupe et le rendre plus accessible au grand public. Et si certaines tentatives de commercialisation ont échoué pour certaines formations dans les années 1990 (Megadeth, Testament...), eh bien pour Metalloche, ça a plutôt bien marché, l’album s’étant vendu à plus de 30 millions d’exemplaires (si si, c’est énorme) et ayant donné au groupe une nouvelle jeunesse et une notoriété jamais vue, leur conférant le statut de rock-star intouchable (cette fois, le groupe repartira avec son grammy) que seul Nirvana bénéficiait également en ce début des 90’s.
Derrière sa production léchée et son impact sur la scène metal et la pop-culture, le black album se révèle être une réussite artistique quasi-totale, et de belles retrouvailles avec James le picoleur, Lars le grimaçant (que l’on va commencer d’appeler Lars l’égocentrique), Kirk le silencieux et Jason le bizuté, ici en grande forme.
On n’a plus besoin de présenter Enter Sandman, morceau autant calibré pour la scène que pour la radio, qui introduit l’album et donne un son qui n’est pas sans déplaire tant il détonne par rapport au disque précédent.
Plus cool, plus doux, le tempo est ralenti, mais la puissance et la lourdeur sont toujours là, même plus amplifiées que dans ...And Justice for All, l’agressivité en moins. Le thrash laisse place à quelque chose de plus heavy, le son est électrique, la production dantesque, la batterie tabasse lourdement, et LA BASSE EST ENTENDUE !
Un autre single culte succède à Enter Sandman, Sad But True, basique au premier abord mais terriblement groovy, suivi d’un autre morceau puissant à la rythmique qui dégomme tout sur son passage, Holier than You, avec son passage à la basse fichtrement efficace.
The Unforgiven, beau à en crever, fait aussi partie des cultes du black album, et est rempli d’émotion; le chant de James le picoleur, qui a délaissé la hargne des années 1980 pour un mordant et une tessiture digne d’un adulte, est ici à on apogée, et on peut parler non plus d’un guitariste qui chante (comme Dave Mustaine le teigneux), mais d’un chanteur qui joue de la 6 cordes tellement l’évolution de la voix du grand gaillard d’1m85 joue en sa faveur.
S’ensuit l’épique Wherever I May Roam, lourd comme pas possible, Don’t Tread on Me, Through the Never très bons et enragés.
Metallica adoucit ensuite son tempo et propose une power-ballad très personnelle signée Hetfield le picoleur. Mais Nothing Else Matters n’a rien à voir avec Fade to Black ou One, elle est reposante, ses textes étant placés plus sous le signe de l’amour et la nostalgie plutôt que le désespoir, et bien que taillée pour les stations de radio, elle reste magnifique à envoyer au tapis les cultes du glam et rejoindre les slows des Scorpions et des Guns N’ Roses au panthéon des plus belles balades du genre. Un titre qui a fait rager les fans, agacés qu’un groupe aussi porté sur l’agressivité que Metalloche fasse dans la chanson grand-public.
Si la suite n’offre pas autant d’impact, la puissance de Of Wolf and Man, la majesté d’un The God that Failed s’en prenant une fois de plus au fanatisme des sectes religieuses sous le point de vue d’Hetfield le picoleur (après The Leper Messiah de l’album de 1986), la tristesse émanant de My Friend of Misery, seul titre co-signé par Newsted l’éternel bizuté et le final rageur de The Struggle Within font de ce black album un sans-fautes, composé uniquement de bons titres, allant chacun du correct et efficace jusqu’au classique incontournable et indémodable.
Lorsque qu'on entend parler du black album, à l'instar de The Good, the Bad and the Ugly il y a deux catégories de personnes dans le monde, ceux qui n'aimaient pas le thrash de Metallica et qui ont trouvé en ce disque une bonne surprise parce que "plus accessible, plus tranquille, moins violent", et ceux qui ont été bercés par les années 1980 du groupe placées sous une frénésie de violence et d’agressivité et qui ont détesté cette nouvelle approche plus commerciale digne d’une hérésie pour le fan hardcore.
Ce à quoi j’ai envie de répondre... Merde !
Le black album marque un tournant dans l’histoire du groupe, le plus important même. C’est l’album de la maturité, l’album de la prise de risques, et non de la facilité comme va le dire gentiment le puriste. Car essayer de conquérir le grand public lorsqu’on évolue dans l’underground depuis 10 ans n’est pas aisé, loin de là, cela suppose de prendre à contre-pied une fan-base ancrée dans votre son d’origine, habituée à un certain confort sonore qui est votre marque depuis qu’elle a ouvert et écouté votre premier disque. Loin d’être sûr de satisfaire un public plus large, une évolution musicale pareille déroutera forcément le fan initié.
On est quand même toujours en droit de rêver, à ce que serait devenu le groupe si son mythique bassiste n'aurait pas perdu la vie dans cet accident. ...And Justice for All aurait-il quand même vu le jour ? Le black album aurait-il été aussi accessible et aussi mainstream ? Metallica aurait-il fait d’aussi lamentables erreurs dans ses choix artistiques futurs ?
Je pense personnellement que si le line-up préféré des fans des four horsemen n'aurait pas été brisé aussi brutalement en 1986, le groupe ne serait pas seulement le plus grand groupe de metal au monde d'un point de vue strictement commercial, mais aussi le plus grand du monde tout court, car il n’aurait pas été privé de ce qui composait l’âme du groupe, Burton le hippie, rempart contre les déboires affectifs de l’égocentrique et du picoleur, musicien et compositeur hors paire. On est en droit de rêver, tout comme pour le Dune de Jodorowski qui n’a jamais franchi les limites de notre imaginaire, qu’un Metallica alternatif où Burton le hippie serait toujours des nôtres aurait pris une direction musicale totalement différente, en poussant le thrash metal à son apogée artistique, en développant le son à son paroxysme et en se voulant de plus en plus progressif et virtuose.
Avec des «si», on refait le monde bien entendu, et même s’il présente un arrière goût de mainstream et de facilité par rapport à ses quatre grands frères, le black album reste tout de même une réussite dans sa globalité et deviendra un classique du genre. C'est, en plus d'une preuve de l'évolution d'un groupe prenant la relève d'un Led Zeppelin mort et enterré depuis longtemps ou d'un AC/DC devenu débilement redondant, un album aux sujets plus personnels, comme un miroir que le groupe se tend à lui même.
Malheureusement, ce disque placé sous le signe de l’évolution et la maturité ne sera pas le premier d’une longue lignée, mais le début de la fin pour un groupe victime de son propre succès et prenant trop rapidement la grosse tête. Metallica sera le dernier des crus excellents du monstre, le dernier à proposer des classiques repris un nombre incalculable de fois sur scène.
A partir du black album, Metalloche se retrouvera à la vue de tous, en couverture des magazines, sur MTV, dans les plus gros stades et passera en boucle à la radio. Des sentiments refoulés vont refaire surface, l’ego de certains membres va ressortir et les quatre cavaliers, peu habitués à tant de notoriété, vont faire la même erreur que toutes ces rock-stars embourgeoisées qui ont goûté à un succès un peu trop gros pour eux : changer de visage, se réfugier encore plus dans les excès et placer leur musique sous le sceptre de la rentabilité plutôt que la qualité artistique.
Mais le début de la descente aux enfers de Metallica est une autre histoire...
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Créée
le 21 avr. 2020
Critique lue 81 fois
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