En 1998, Massive Attack était une star établie, non seulement du trip-Hop, qu'ils ont plus ou moins mis au point à Bristol, en Angleterre, à la toute fin des années 80, mais de la musique en général.
Leurs deux premiers albums, "Blue Lines" (1991) et "Protection" (1994) étaient des classiques incontestables.
Rétrospectivement, "Blue Lines" a été reconnu comme l'un des plus grands albums de tous les temps en UK, et une version remasterisée est sortie en 2012.
"Protection" fût l'apothéose de ce Trip-Hop mêlant boucles d'échantillons, électronique moderne et voix mélancoliques établissant le genre dans un style langoureux et parfumé de Skunk.
MASSIVE ATTACK s'est formé à partir du Wild Bunch, l'un des tout premiers systèmes sonores de l'histoire de la musique britannique, et a émergé dans la scène des clubs de Bristol au milieu des années 80, lorsque Grant 'Daddy G' Marshall et Andrew 'Mushroom' Vowles, tous deux DJ, ont rencontré le rappeur et graffeur Robert '3D' Del Naja. Ils ont été massivement aidés par Neneh Cherry, qui les a soutenus à "Circa Records" en 1990. Cherry et son mari, Cameron 'Booga Bear' McVey ont fourni la base financière dont Massive Attack avait besoin pour créer ce chef-d'œuvre de 1991, "Blue Lines".
Cherry et McVey ont également soutenu Portishead et Tricky hors de la scène de Bristol, bien que, bien sûr, Tricky ait commencé dans le cadre de Massive Attack.
En 1998, cependant, longtemps après que le trip hop soit passé de la marge au grand public et qu'une tonne d'artistes de deuxième, troisième voire de quatrième zone ait sorti de plus en plus de projets oubliables, les choses ont changé. Massive Attack avait évolué, et ils étaient pris dans une situation classique de ne pas savoir dans quelle direction aller. Del Naja explorait la nouvelle vague et proposait des échantillons de la musique de sa jeunesse, et poussait le groupe dans une vision énervée et paranoïaque. Daddy G était également partant pour cela, voulant éloigner Massive Attack de la soi-disant âme urbaine des deux premiers albums. 3D et Daddy G étaient tous deux de grands fans de la nouvelle vague, mais le problème était que Mushroom n'en était pas si sûr. Néanmoins, ils ont continué, avec Mushroom et Daddy G travaillant sur des boucles de batterie et de lignes de basse, et 3D continuant de jouer avec de nouveaux enregistrements.
C'est peu dire que l'album qui allait sortir, aura été produit dans la douleur.
Dire que "Mezzanine" est un album colossal est un euphémisme. Pour appeler cela un chef-d'œuvre, je dirais également que c'est un euphémisme. En ce qui me concerne, Mezzanine est l'un des rares albums parfaits auxquels je puisse penser. C'est aussi un album que je joue régulièrement depuis le jour où je l'ai acheté en avril 1998, peu de temps après sa sortie.
J'ai glissé le CD dans mon Discman pour rentrer à pied dans le centre-ville, chez moi, dans mon appart. A partir du moment où j'ai appuyé sur play, j'ai été pris.
"Angel" arrive dans un brouillard avec une ligne de basse épaisse. l'intro a littéralement fait vibrer mon cuir chevelu. Le rythme doux et claquant qui se déclenche, les retours de guitare électriques, puis le magnifique fausset d'Horace Andy apparaît sur la scène; le morceau est en partie basé sur son "You Are My Angel'', mais comme sa voix est superposée et s'estompe, la batterie entre et sort, la basse glisse, une basse synthé par-dessus, et la tension monte lentement alors qu'Andy chante. Puis alors que sa voix résonne, la batterie et la guitare s'écroulent, et, putain, même maintenant, 22 ans plus tard, c'est toujours l'un de mes moments préférés de mon histoire avec la musique. J'en ai encore la chair de poule.
Mais aussi incroyable qu'était "Angel", il y avait quelque chose d'encore mieux à attendre, avec "Risingson" la deuxième piste. En commençant par une autre ligne de Phat basse, nous obtenons une batterie trippy, puis 3D passe au micro:
"I see you go down to a cold mirror
It was never clearer in my era so
You click a shine upon your forehead or
Check it by the signs in the corridor
You light my ways through the club maze
We would struggle through the dub daze"
La basse est moulante, elle se glisse dans et autour du charleston et des cymbales. Et puis Daddy G prend le relais avec sa voix caverneuse et hypnotique:
"Why you want to take me to this party and breathe
I’m dying to leave
Every time we grind you know we sever lines
Where have those flowers gone
Long time passing
Why you keep it testing, keep on tasking
I keep on asking."
Et puis il revient dans les profondeurs sombres, la fumée de glace séchée, la mauvaise herbe et les lumières sombres et nocturnes de la ville et 3D est de retour avec des paroles désarmantes.
Et puis avec Daddy G, échangent leurs voix à la sortie, lévitation.
Je pense avoir écouté cette chanson des centaines de fois depuis 1998. C'est peut-être l'une de mes chansons préférées de tous les temps.
Nous avons une pause dans la paranoïa avec "Teardrop", qui met en vedette Liz Fraser des Cocteau Twins au chant. "Teardrop" commence par un autre beat et une basse, mais ensuite la musique reprend lentement, centrée sur une guitare acoustique, puis la belle voix de Fraser. Un titre apparemment plus frais après les deux premiers sombres morceaux, mais "Teardrop" est un morceau tueur à part entière. Fraser chante les mystères de l'amour et sa dissolution:
"Love, love is a verb
Love is a doing word
Fearless on my breath
Gentle impulsion
Shakes me, makes me lighter
Fearless on my breath"
La musique derrière elle est tamisée, assez uniforme. Cette guitare acoustique reste avec nous, tout comme le pincement d'un piano, avec une ligne de basse fluide. Un des plus gros succès de Massive Attack.
Mais nous revenons tout de suite à la rampe, à l'étrangeté sur "Inertia Creeps", qui pourrait être le titre de chanson parfait pour cet album. Un rythme transcendant et une boucle orientale venant d'un club de danseuses du ventre lors d'un voyage dans la capitale turque, Istanbul.
Del Naja l'a écrit sur une relation en voie de dissolution, une relation sur laquelle il ne pouvait tout simplement pas être incité à faire quoi que ce soit, ou à mettre fin. Et, eh bien, nous avons tous été là, dans une relation qui est en train de mourir, qui est en fait morte, nous le savons et nous ne faisons rien pour y remédier. Ironiquement, la relation dans laquelle j'avais été quand j'ai acheté cet album est morte plus tard, mais l'inertie nous a maintenus en place pendant encore deux ans, avant que nous ne nous séparions finalement.
Puis nous prenons un peu l'air avec "Exchange". Ici c'est une version instrumentale et à la clôture de l'album, une version sur laquelle Andy marmonne quelque chose d'incompréhensible avant que sa voix n'émerge vraiment. C'est un titre presque ensoleillé, ou peut-être que c'est juste la gueule de bois, la descente de la nuit précédente, en tout cas, le seul morceau de Mezzanine qui reflétait vraiment Mushroom. La chanson est fortement basée sur un échantillon d'Our Day Will Come d'Isaac Hayes, l'un des morceaux préférés de Mushroom pour ses DJ sets à l'époque de Wild Bunch.
"Dissolved Girl", qui peut être entendu à travers les écouteurs de Neo vers le début du film Matrix, est une envolée spectrale rythmée par une basse électronique répétitive dont le refrain n'est rien d'autres que des riffs de guitare électrisants qui ne tombe jamais dans le chaos sonore. Sara Jay, une chanteuse de Sheffield alors inconnue apporte une douceur malgré des paroles pessimistes et déprimées.
Horace Andy, le Jamaïquain revient avec "Man Next Door", l'un de mes morceaux préférés sur cet album. Sur une ligne de basse lourde et une batterie en boucle stratosphérique, Andy chante ce voisin que nous avons tous eu:
"There is a man that live next door
In my neighborhood
In my neighborhood
And he gets me down
He gets in so late at night
Always a fuss and fight
Always a fuss and fight
All through the night"
A noter que c'est une reprise d'une chanson géniale (qui porte le même nom) du Reggae man John Holt.
Arrive "Black Milk", le titre le plus trippant, le plus représentatif de cette période de la fin des 90's où Massive prouva à tous qu'ils savaient se réinventer de manière exceptionnelle.
"Black Milk'', qui utilisait un échantillon d'un morceau de Manfred Mann des années 70, voit Liz Fraser caresser notre appareil auditive de sa voix affectueuse. L'écoute de cette chanson, accompagnée d'un spliff, ne vous laissera aucune chance de rester sur terre. L'odyssée musicale est fabuleux.
On s'enfonce profondément avec la piste titre de l'album "Mezzanine" qui met en avant la notion de zone crépusculaire. 3D et DaddyG renforcent cette idée avec leur rap, qui est à la fois beaucoup et rien. "All These Half Floors / We Lead To Mine". Musicalement, le titre conserve et s'appuie considérablement sur l'intensité de "Black Milk", avec des échantillons intimidants de basses qui s'accumulent au fur et à mesure que le rap avance. Il y a un sentiment de menace qui augmente avec chaque couplet, les paroles brossant avec succès une image du ressentiment sous-jaccent de la haine entre deux personnes.
"Group Four" est le vrai final de l'album. Oui c'est en fait la version chantée d'"Exchange" qui termine le projet mais ce dernier est plus comme un générique de fin, un moment pour sortir doucement de l'expérience traumatique ressentie tout au long de "Mezzanine".
Sur "Group Four", le plus long morceau de Mezzanine, "est un opéra". Ce sont les mots de 3D.
Il est au chant, cette fois avec Fraser, elle fournit le contrepoint parfait au sien. Bien plus que Daddy G, 3D fourni la noirceur et la peur qui traversent cet album, pas seulement avec la musique, mais aussi avec sa voix. Comme s'il était passé autrefois, de l'air optimiste et ensoleillé à quelque chose de carrément effrayant dans sa voix chuchotée, ne la soulevant jamais, n'exprimant jamais aucune émotion, mais sa voix reflète la paranoïa de cet album.
C'est un final haletant, enivrant et terriblement euphorisant pour ceux qui, comme moi, ont eu la chance de l'avoir vu et entendu en concert.
Je considère Mezzanine comme le véritable chef-d'œuvre de Massive Attack.
Jamais avant ou depuis, leur production n'a été aussi sombre, complexe et cathartique, ni leurs traits vocaux aussi forts.
Du début à la fin, Mezzanine n'est rien d'autre qu'un Trip-Hop cinématographique magnifiquement sombre qui ne ressemble à rien d'autre que ce que Massive Attack avait fait auparavant ou sans nul doute comme n'importe quel autre artiste de Trip-Hop. Du tendu, noir comme Angel et Man Next Door, au mélancolique Teardrop, en passant par le vertigineux Inertia Creeps, ou l'effrayant et troublant Black Milk, l'album entier joue dans votre tête comme un thriller sombre.
L'album est aussi sexy et séduisant avec cette sensation sous-jacente de danger contrôlé. Facilement le point culminant d'un catalogue brillant et de l'un des albums définitifs des années 90.
Avec Mezzanine, Massive Attack s'est assuré d'une marque permanente sur l'histoire de la musique en général.
10/10