Malgré la qualité supérieure de leur premier disque, le label du groupe de rock progressif anglais Camel, MCA, décide pour une raison complètement incompréhensible de les lâcher. De toute façon, les mecs n'en avaient absolument rien à foutre; ils avaient déjà acheté le management de Geoff Jukes et Max Hole d'un autre label, Gemini Artists, qui deviendra ensuite GAMA, et, la cerise sur le gâteau, signé un contrat avec la plus prestigieuse filière de la Decca, la Deram. La première collaboration entre ces deux nouveaux labels, alors, est le second opus de notre ami chameau, le mythique Mirage, sorti à peine un an après leur premier album éponyme. Si l'immense potentiel de ce dernier laissait déjà prévoir un futur succès, celui-ci ne fait que confirmer le talent du groupe, qui signe ici une succession de cinq morceaux absolument incroyables. Je n'irai pas par quatre chemins, Mirage est un chef-d'œuvre.
(Je n'ai pas écouté toute la discographie de Camel, donc dire qu'il s'agit de leur magnum opus est peut-être un peu prématuré ou prétentieux, mais en tout cas, il me plaît énormément!)
Commençant par une succession de bruits de vent synthétiques, signés Peter Bardens, mystérieux et quelque peu inquiétants, l'album s'ouvre sur le déchirant et bien nommé Freefall. Cette intro, définitivement hard prog, caractérisée par son ostinato un peu électronique, brutalement ponctuée par l'agressive guitare d'Andrew Latimer est tout simplement géniale, surtout si l'on considère en plus la rythmique implacable que nous offre Andy Ward à la batterie et Doug Ferguson à la basse. Puis ça part sur des couplets secs, simples et entrainants, accompagnés par les rugissements aigus de Latimer, qui en fout plein la vue avec ses impeccables talents de guitariste, admirablement mis en lumière à travers le long break instrumental de cette chanson, pourtant composée par notre ami Bardens, qui lui aussi, montre une plus grande proéminence musicale par rapport au disque précédent. Déchaînée, quoique contrebalancée par la belle voix du claviériste, la piste se termine de la même façon qu'elle a commencé, par ces durs et jouissifs ostinati qui concluent Freefall avec un véritable feu d'artifice. Putain, ce que cette chanson donne une pêche inconcevable! C'est peut-être pour éviter que l'auditeur tombe dans les pommes qu'ils ralentissent le pas avec le magnifique intermède symphonique Supertwister, sur lequel Latimer nous donne une vision d'ensemble de ses aptitudes en tant que flûtiste. Doux et engageant, ce petit instrumental est un pas de géant pour Camel dans le domaine du rock progressif, voire du rock symphonique. Par la même occasion, Ward, bien qu'il l'ait déjà fait sur l'opus précédent avec des titres comme Mystic Queen et Curiosity, montre qu'il n'est pas toujours forcément hyperactif, comme en démontre sa délicate et agréable performance ici. Le morceau se termine par une petite séance "ASMR" qui apparemment n'a pas plu à tout le monde. Tiens, au fait, qui est-ce qui l'ouvre cette cannette de bière, hein? Ben, Ward, évidemment. D'ailleurs ça confirme bien les photos de lui qu'on retrouve à l'intérieur de la pochette du vinyle, où on le voit en train de boire comme un trou. Bon, ce n'est pas tout ça, mais je ne suis pas là pour me moquer continuellement d'Andy (qui reste quand même un sacré batteur!), car la Face A se conclut avec une autre incursion totalement prog: The White Rider. Ah non pardon, Nimrodel. Bah, le morceau Nimrodel / The Procession / The White Rider, qui avec sa thématique du Seigneur des Anneaux (effectivement, c'est une véritable ode à Gandalf!) annonce le futur _Snow Goose de l'année suivante. La première partie, Nimrodel, ouvre cette épique de neuf minutes sur une atmosphère mystique, admirablement rendue par le Mellotron (et si je ne me trompe pas, un Minimoog) de Bardens, avant de passer à la seconde, The Procession, section qui comme son nom l'indique, est un véritable défilé militaire. Les trompettes bombastiques accompagnés par la batterie sèche et implacable de Ward donnent une impression exceptionnellement fidèle au titre de ce "mouvement" et permettent une transition majestueuse au coeur de la suite, c'est-à-dire The White Rider. Là encore, le groupe entier nous en fout plein la vue, imprégnée par la section rythmique excellente de Ferguson (ce dernier au meilleur de sa forme!) et Ward, les claviers ambients de Barden et les guitares pleurantes et très sentimentalement évocatrices de Latimer (qui nous délivre un jeu s'apparentant à sa performance jazz-rock sur Curiosity). Un moment d'une musicalité vraiment inoubliable. La belle flûte de ce dernier apparaît d'ailleurs une nouvelle fois, signant un salut très mélancolique, avant que le groupe ne reparte dans une section rythmique agressive, qui caractérisait leurs morceaux jusqu'à présent: claviers ponctuels et guitares furieuses! Un autre régal. La suite se termine par une partie particulièrement sombre et mystérieuse exposant une ligne de basse solide et groovy, des claviers monstrueux et des guitares inquiétantes, qui bouclent la boucle avec brio. Si cette pièce épique fantastique n'est pas à déplaire, c'est aussi grâce à l'incroyable et étonnante variété d'ambiances qui y sont évoquées: il s'agit sans aucun doute du morceau le plus créatif de l'album. La Face B, en revanche, démarre avec le second instrumental du disque, Earthrise, qui est l'aperçu plus fidèle, selon moi, des travaux successifs de Camel: leur son distinctif y est enrichi et éparpillé dans tous les sens. Du wah-wah des synthés de Bardens (qu'on retrouvera en masse dans The Snow Goose, Moonmadness et Rain Dances) aux soli de guitare allumés de Latimer (dont la présence se fera malheureusement un peu plus rare au fil des années) en passant par la section rythmique de fou concoctée par Ferguson et Ward, c'est le morceau qui caractérise le mieux leur son ultérieur, mais pas pour autant le meilleur sur Mirage_. En effet, il vaut toujours un beau 9 sur 10, mais je trouve qu'il manque un petit quelque chose à ce titre, qui souffre peut-être d'une légère répetitivité.
Vous vous rappelez quand je vous disais que Nimrodel / The Procession / The White Rider était le morceau plus créatif de l'album? Je ne mentais pas, mais la véritable pièce de résistance de ce disque, c'est indubitablement le super-incroyable-phénoménal-exceptionnel-époustouflant Lady Fantasy, autre suite prog épique de 12 minutes qui a remonté mon Top 10 morceaux en seulement quelques écoutes. De tous les morceaux de Camel que j'ai écoutés jusqu'à maintenant, celui-ci est incontestablement le meilleur. Là, le groupe est dans une forme inouïe, que je n'ai hélas pas revu dans d'autres albums postérieurs. Mais revenons à notre chameau, Lady Fantasy (divisée en trois parties Encounter / Smiles fo You / Lady Fantasy) commence déjà sur les chapeaux de roues par le riff répétitif au synthé, intrigant et mystérieux, sur lequel viennent ensuite s'intercaler une guitare assaillante, des fills de batterie absolument incroyables et une basse lourde qui nous promet un tas de groove pour la suite. Camel renoue donc ses liens avec le hard prog qui avait entamé Mirage à travers le titre Freefall. Un moment intense et lourd qui ne manquera pas de vous donner la pêche! Puis, ce sont des claviers haletants et une guitare pleurante qui prennent le relais, entamant un doux et nostalgique thème principal que l'on retrouvera à la fin du morceau. Que d'émotions, bien vite supplantées par la grave voix de Latimer, qui chante ici une chanson d'amour touchante et profonde (ce qui contraste tout à fait le hard rock déchaîné qui domine l'aura de la suite!). Les claviers de Bardens vont et viennent, avant que le groupe ne s'embarque pour un groove fantastique, sur lequel le travail de Ferguson est enfin mis en avant. Le rythme agressif et évidemment déchaîné de Ward à la batterie est d'un support inestimable, et là encore, Latimer casse la baraque avec son jeu complètement allumé, qui foutrait le feu à n'importe quelle structure! Putain, que c'est de la balle! Après une alternance entre guitares pleurantes et claviers ambients, la chanson passe ensuite dans une phase beaucoup plus calme, mystérieuse et quelque peu mélancolique, où Bardens refait son apparition au chant, voix tendue mais pleine d'étonnement, entonnant l'irrésistible et inévitable "I Love You." Et... BADABOUM!!!, c'est reparti pour un groove fracassant, à couper le souffle, où le groupe donne tout ce qu'il lui reste dans le ventre: une ligne de basse entraînante, des claviers miroitants, une batterie qui galope à n'en plus finir et des soli de guitare féroces et criards qui constituent une ambiance intense mais ô combien jouissive! Le tourne-disque est sur le point de rendre l'âme quand tout-à-coup, l'ambiance apaisante et nostalgique du thème principal revient en force, parfaisant avec une beauté magistrale l'aventure musicale qu'est Mirage!
- Freefall (10/10)
- Supertwister (10/10)
3a. Nimrodel (10/10)
3b. The Procession (10/10)
3c. The White Rider (10/10)
5. Lady Fantasy (10/10)
i. Encounter (10/10)
ii. Smiles for You (10/10)
iii. Lady Fantasy (10/10)
(Le gras indique ma chanson préférée de l'album)
Que dire de plus si ce n'est que cet album n'est autre qu'une succession effrénée de tueries? Rien. Cela vaut bien malgré Earthrise un 10/10.