Moment of Truth par Adobtard
Évidemment, il y a des choses qui se passent de commentaires :
Le flow proprement incroyable.
Cette façon qu'ils ont de se mettre dans le fond du rythme, complètement ancré, comme s'ils le possédaient, l'étaient.
Ces timbres de voix tellement typiques du rap US old school. Ça sent à plein nez le negro qui en veut, t'entends.
La propreté des instrus, ces sons finalement assez froids ou au moins minimalistes, ces batteries qui sortent d'une bonne vieille boite à rythme achetée avec l'argent de la drogue. J'aime beaucoup.
L'équilibre de l'album, alternant tranquillement des morceaux bien péchus et d'autres plus softs.
Et d'autres, toutes aussi bonnes, sur lesquelles je dirai volontiers un mot ou deux :
La touche du dj, les scratchs, les samples. J'aime bien. C'est discret, c'est tout sauf putassier, c'est fait avec une certaine finesse. On a pas à longueur d'album le dj qui ne se sent plus et qui pourri tout en scratchant à outrance, ou des samples d'une voix sur chaque piste, non, tout est savamment dosé, fait avec retenu.
Je suis sûr que si on enfermait Torpenn dans une pièce avec cet album, et qu'on l'observait (à son insu bien sûr), on observerait qu'inconsciemment, il se mettrait petit à petit à bouger la tête, en rythme, tranquillement, happé par cette science rythmique. T'entends ?
Comme il a décoché le truc pour suivre la musique, je sais qu'il ne verra jamais ça, alors je peux l'écrire sans peur, p'fiou !
Sur un album que j'aurai sans doute proposé lorsque mon tour viendra s'il était sur SC (voyez à quoi vous échappez, petits veinards. Mais ça ne vous aurait pas fait de mal.), « Drive-by en caravane » de Seth Gueko, on trouve un morceau, « Comme toi », dans lequel il dit une phrase qui m'a toujours marqué, tant elle exprime précisément ce que je hais dans le rap :
"On veut pas de refrain chanté par Amel Bent". Excusez-moi le vocabulaire, mais quand les rappeurs filent leurs refrains à d'ignobles pouffiasses sans doute dans le seul but de les sauter derrière, c'est généralement le moment où l'album vole par la fenêtre et sort à tout jamais de ma vie.
Force est de constater qu'on ne verse pas la dedans, thanks God. C'est typiquement l'esthétique inverse, quelque chose d'intègre, de fidèle à soi-même. Une philosophie-musique. J'aime ça.
Le sens de leur langue. Cette maîtrise naturelle de l'utilisation des consones comme instrument percussif, et ce qui en hongrois s'appelle « l'harmonie vocalique » qui paraît adaptée à l'américain ici. Bon, mon expression est un peu exagérée, mais elle traduit bien l'idée. L'harmonie vocalique, c'est, dans certaines langues, cette règle qui fait que dans un même mot on trouvera certaines voyelles, et d'autres non, en fonction de règles basées sur la sonorité des voyelles. Ici, ça se traduit comment ? Pourquoi l'expression « motherfucker » est-elle tant utilisée dans le rap, à ce point prisé ? En fait je suis persuadé que c'est en partie grâce à ce phénomène. Le mot sonne extrêmement bien, d'une part grâce au regain de rythme insufflé par l'appui sur le « fu », avec cette consonne « f » qui s'y prête tout à fait, d'autre part grâce au fait que les voyelles, respectivement « o, e, u, e » (prononcées à l'américaine svp, je ne connais pas la phonétique et suis incapable d'y traduire correctement) sont toutes des voyelles fermées (je dirai), en tout cas d'un groupe proche.
My point c'est que ces mecs travaillent leurs textes, et plus précisément leurs phrases, leurs mots, en ayant constamment en tête, inconsciemment ou non, ces principes fondamentaux sur la sonorité de leur langue, et qu'ils se débrouillent extrêmement bien. L'enchaînement des mots, des sons vocaux, est mélodique en soi, rythmique en soi. « En soi » à comprendre comme « hors de leur sens ».
Mais je vous vois venir : Pourquoi 6 ?
Pour être honnête j'aurai voulu mettre 5, afin d'être du côté « je n'aime pas », non pas que je n'aime pas au contraire, mais parce que je sens qu'il n'y aura personne ce coup-ci pour se placer sur le côté droit de la « confrontation ». Mais 5, c'est en décalage avec mon appréciation de l'album, pas bien possible.
Alors voilà. Je suis je l'avoue clairement un archétype du mauvais goût en rap. Je préfère le rap français au rap US. Là, généralement, la plupart de mes interlocuteurs s'en vont. Mais pas tous, y'a toujours d'une part ceux qui commencent à me parler d'IAM, de NTM, du « bon vieux rap FR old-school », et d'autre part ceux qui commencent à aiguiller une conversation trop sage sur le rap « indé », à la Svinkels, Stupeflip, Klub des Loosers, etc.
Alors là, seconde intervention pour finir le nettoyage et me retrouver en tête à tête avec mon whisky : « J'ai du respect pour ces groupes, mais je n'aime pas tant que ça. Trop bourgeois. Je préfère ce qui s'est fait ces cinq dernières années ».
Alors non, je ne dis pas que Gang Starr c'est bourgeois, ne soyons pas stupides. Mais c'est US. Ça rentre donc dans l'énooorme catégorie du rap que je respecte énormément, que j'apprécie aussi, que j'ai plaisir à écouter, mais qui ne m'apportera jamais les sensations que je recherche dans le rap, et que finalement ne me procurent qu'une faible quantité de groupes que je compte sur les doigts de la main. Il me faut quelque chose de plus sale, de plus dur, de moins bien accomplit, de français (désolé). J'aime le rap de racailles, j'aime Alpha 5.20, Seth Gueko, Al K-pote (si si), Kennedy, 25G, etc. Aucun d'eux n'a le flow des mecs de Gang Starr, 25G est carrément mauvais, ils sont à moitié ridicules (complètement pour beaucoup, moi je les prends au 1er degré, à peine et demi), leurs instrus ne sont pas toujours bonnes, la prod est souvent à chier, les paroles sont atroces, mais c'est justement ça que j'aime.
Gang Starr, c'est une esthétique, une philosophie-musique à laquelle je n'adhère pas complètement, qui ne me touche pas profondément. Ça parle à mon cerveau, mais pas beaucoup à mon affect. Et là, il n'y a plus rien à faire.
Mais vous, allez-y surtout, c'est excellent.