La première fois que j'ai véritablement écouté Gang Starr c'est à la mort de Guru. Je participais alors à une émission hebdomadaire sur Radio Campus et on m'avait chargé de faire la nécro alors que je n'avais quasiment aucune idée de qui était le type. Je me suis donc dirigé vers les autorités compétentes qui m'ont bien évidemment conseillé Moment of Truth. Devant l'ampleur de la tâche, j'ai bien évidemment rouspété et exigé une sélection. J'ai fini par faire trois minutes, une blague sur le fait qu'il ne soit pas mort par fusillade et j'ai passé You Know My Steez parce que quand même ça tabasse grave.
Guru et Premier ce serait un peu Lennon et McCartney dans un hip hop sympa et gentil où les artistes les plus respectés seraient aussi ceux qui mangent des légumes et font traverser les vieilles dames. Je ne dis pas qu'il n'y a pas deux-trois « bitch », « motherfucker » et une cargaison de « nigger » sur le disque mais comparé aux caïds de la profession, tous à la tête d'un commerce parallèle de drogue, d'un empire du porno ou d'une multinationale florissante, les deux de Gang Starr font vraiment très boy-scouts. Ça se ressent pas mal sur le disque avec des thèmes aussi provocateurs que le temps qui passe, la lutte des classes ou l'acceptation. Un « album de la maturité » comme il faut avec des samples jazzy, des invités prestigieux qui servent à rien et la production de circonstance.
J'ai toujours préféré Premier à Guru (comme je préfère Paul à John). C'est un de mes producteurs de hip hop préférés. Pour avoir vu quelques vidéos où il se lâche sur les effets, je trouve son travail au sein de Gang Starr encore plus soignée qu'à la première écoute. Premier habille chaque morceau avec la délicatesse d'un thanatopracteur de talent, lui faisant la plus belle gueule possible avant son grand voyage vers l'inconnu. Cela ne veut pas dire que je n'aime pas Guru mais je n'ai jamais été envouté par sa voix. Ceci il dit, il garde quand même un putain de flow.
Pour parler précisément de l'album, sorti l'année où le hip hop est mort une première fois, j'ai pas grand chose à dire de plus que mes estimés collègues. Qu'est-ce qui a pris à Virgin et Emi de sortir un disque aussi dense ? Personne ne leur avait jamais parlé de B-Sides ou d'édition Deluxe avec des bonus de qualité ? Personne ne leur a dit que 36 chambers n'avait que 13 pistes ? Le quart de l'album aurait très bien pu partir à Vera Cruz avec les interludes téléphoniques lourdingues pour revenir tout frais pour une édition anniversaire que ça m'aurait pas vraiment dérangé. Un terrible manque de projection dans l'avenir malheureusement partagé par de nombreux grands disques de hip hop.
Après tout ça, je me demande si je suis pas un peu trop difficile avec ce disque. Il est mieux produit, mieux écrit, mieux rappé et mieux scratché que de nombreux enregistrements du genre et je ne peux pas vraiment en vouloir à deux braves gars d'étaler leur générosité sur toute la durée du compact disc. Il possède quelques tubes immédiats (You Know My Steez et Above The Clouds en tête), une atmosphère mélancolique indéniable et un parfum east-coast pas factice pour un sou (il y a même un hommage à Notorious). Un brave disque fait par des braves gars qui n'ont finalement de gangstas que le nom.