Please. Don't update your "formulas"
Mon premier album de rap de toute ma vie! D’ailleurs, même si j’avais écouté seulement une chanson, j’aurais pu dire avec la même voix, ultra aiguë, ultra émue « Ma première chanson de rap de toute ma vie » ; c’est dire. Deux trois aspects intéressants:
Le rap se rapproche d’un type de chanson qui repose sur la reconnaissance immédiate d’un certain accent, d’une diction, et d’un langage relevant d’un groupe bien particulier - ici, les African Americans, plutôt East Coast. On l’écoute, on identifie, on s’identifie (supposément). Les paroles façonnent un monde mi-fictionnel mi-réaliste. N’est-ce pas le propre de la chanson populaire ? Cette dernière a parfois la particularité supplémentaire d’être localisée géographiquement, socialement, linguistiquement. Ça ne marche pas avec la musique pop-ulaire de l’Angleterre des 60s : une histoire beatlesienne, ou autre, ça se fictionnalise n’importe où, boy meets girl, que ce soit à Londres, à New York, à Paris. Ça marche en revanche avec le rap, tout comme avec la chanson parisienne des années 30 et 40. On va encore dire que j’extrapole dans la comparaison, mais comme d’habitude c’est très cohérent. Il s’agit de faire couleur locale, grâce à une maîtrise totale de son accent et des images qu’il suscite chez celui qui écoute. Mais aussi de faire un peu crade, en enfermant ses chansons dans un lieu bien circonscrit, les rues pauvres des faubourgs parisiens ou des centres-villes américains. Pourtant ça fonctionne, les réalités évoquées, transposées et fictionnalisées, trouvent des échos chez un public qui ne connaît concrètement rien de tout cela. Le danger est de tomber dans le gargarisme et c’est ce que je reproche à l’album : se laisser prendre au jeu des sonorités, de la beauté de l'accent, et forcer le trait. Les inserts d’interview ou de paroles non chantées sont à cet égard exemplaires. Le début de You know my steez ou My advice to you paraissent à mes oreilles d’un ridicule achevé, et accumulent les doin’, elevated, updated. Suivi d’effets faciles à la batterie pour souligner - encore- la diction et introduire le morceau. Je n’ai par contre rien à dire contre les rimes, elles tombent de façon imprévisible, et l’accent leur sert (enfin !).
Les facilités se retrouvent toutefois dans le texte. Accumulation du discours à la deuxième personne, adressé à un destinataire imaginaire censé recevoir des conseils, ou mieux, une série de vérités plus ou moins révélées. Les paroles de JFK to LAX sont accablantes… Le début pourtant partait bien, comme une fiction (d’où l’intérêt des guests), un avion, un trip to LA, un passager, un aéroport, un gun. Et ça dérape, ces « Oh Yeah » dignes du meilleur du funk des années 1980, et ne parlons pas des malheurs du héros, victimisé tout au long par des « they » ( ?), ne reculant devant aucun jeu de mot astucieux (« tricknowledgy » ?), ou stéréotype (« Without esteem for yourself, nigger, your goin' nowhere »). Pourtant, j’aime la construction de l’ensemble, le début parlé qui lance l’histoire, les quelques secondes de pause avec basses au milieu du morceau. Je critique la répétition lancinante des « Oh Yeah », mais en soi pourquoi pas, c’est une série de références et relève comme je le disais plus haut d’un univers hyper connoté.
Se dégage toutefois de tout cela une certaine complaisance, mise en évidence par le martèlement des consonnes des deux aéroports - JFK/LAX.
Quand je compare ce morceau de, disons, « Work », je ne vois pas de variation majeure. Ces morceaux (comme d’autres) relèvent d’un choix harmonique similaire : environ trois instruments, batterie, cuivres, puis clavier ou autre médium pour enrober le tout du côté répétitif- obsessionnel (les Oh yeah, malgré que j’en aie, remplissent très bien cet emploi). Le morceau m’a pourtant plu, le rapport au cliché social est clairement établi, la répétition en début et en fin de la litanie stéréotypée “Are you workin What kind of work do you do Boy what is it you wanna do when you grow up” encadre l’ensemble. Tout au long du morceau, les voix s’entrecoupent, accélèrent ou ralentissent (merveilleuse homophonie mistake-escalate à laquelle l’accent, transformant les poids portés sur les syllabes, donne tout le sel) tandis que la récurrence du piano, des cuivres, des scratch évoque plutôt l’obsession sociale. Une de mes pistes préférées je crois. Mais les rythmes et les harmonies se répètent hélas trop d’un morceau à l’autre.
En somme, plutôt plaisant mais trop com-plaisant. Agréable à écouter, belle découverte du rap, et je suis contente d’avoir commencé par ça, un truc un peu léché. Au fond, je dois l’avouer, je n’arrive pas à écouter plusieurs morceaux à la suite sans hurler de rire. Les paroles, le rythme, l'accent, ce côté testostérone branchue, les couilles en avant, c'est trop, ma mâchoire se décroche.
Le problème, c’est que logiquement (si vous avez suivi ma démonstration lumineuse), quand on aime la chanson française des années 1930, s’ensuit que l’on adore le rap, et je ne comprends vraiment pas du tout pourquoi ça ne marche pas en fait.