Peut-être son dernier album. Après une productivité ahurissante au cours de ses années de travail, une annulation de tournée annuelle semble avoir mis Murat aussi vert que son Auvergne. Du coup, un éventuel nouvel album est en très hautes suspensions. Déjà que ce disque, comme on peux le voir dans les crédits, il l'a presque fait tout seul (4 musiciens, et une femme pour chanter avec lui comme à son habitude), si en plus on l'empêche de le défendre avec ses maigres chances commerciales... Je me souviens avoir lu un jour que son producteur avait déclaré: "Il n'a pas compris quel métier il faisait. Il n'a pas compris qu'il était dans le show-business". Voilà à quoi est réduit l'industrie musicale actuelle. Si t'avale pas tes paillettes, t'as rien pigé. Cette déclaration a été pour moi une raison de plus de suivre assidument Murat: pour la défense de la chanson française exigeante et sans artifices, en plus du talent superbe du bonhomme.
Si il termine avec ce disque, "Morituri", je n'en serais pas non plus désolé: c'est pour moi son meilleur album, l'aboutissement de son œuvre. Obscur, expérimental, glauque, il a sur moi un pouvoir de fascination. Il commence avec "French Lynx", la seule chanson potentiellement "tubable". Murat rappelle alors l'étendue de ses capacités de rocker, sur une rythmique géniale. Les paroles, existentiels, se rajoutent dans l'intensité du morceau. Mais c'était que trop d'excitation, "Franckie" ouvre le deuxième genre qui habiteras l'album, soit un lent blues triste, qui figure plus comme une atmosphère funèbre que pour une musique mélodique et accompagnatrice. Outre ses paroles incompréhensibles (grande habitude de Murat), il a pour moi sérieusement gaffer en faisant répéter inlassablement que n'aurais-je pas fait pour Franckie... Toutefois, le titre tire son épingle du jeu grâce à son instrumentalisation originale et spacieuse. "Tarn et Garonne", visiblement autobiographique, est une belle chanson d'amour,plus simple et plus rafraichissante. "La Pharmacienne d'Yvetot" est particulièrement sinistre: Murat énumère des noms propres associés à des tragédies, accable sa compagne de pleurer pour ces évènements, et lui dit de plutôt regarder leurs problèmes de couple. Comme si, malgré son métier, elle n'arrivait jamais à panser quoi que ce soit, et qu'elle n'avait que ses larmes comme armes contre le monde. Grandiose. "Le chant du coucou" est une chanson que j'attendais de la part du mec: un hymne à cette Nature qui l'inspire tant. Et je suis pas déçu: romantique (sauf quand il dit à un coucou de se la boucler, là j'ai pas compris), voyageur, apaisé, c'est un morceau qui fait rêver et donne envie d'aller marcher dans les collines. "Interroge la Jument" est spéciale: elle prédit littéralement les attentats du 13 Novembre 2015. La richesse du vocabulaire, la mélodie magistrale, tout dans ce morceau est encore une fois impressionnant. "Tous mourus", même si c'est pas le plus long, est écrasant. Le blues est tellement discret qu'on frôle le capella, et contrairement à ses habituelles histoires morbides, il n'y a pas vraiment de trame... Donc c'est un peu longuet, même si certains vers sont souriants (Le buraliste est cocu, mais ça n'a rien à voir !, sorti de nulle part ^^ ). Il se rattrape aisément avec "la chanson du Cavalier", qui me bouleverse complètement. Paroles précieuses, élégance des arrangements, voix irrésistible: du grand Art. "Nuit sur l'Himalaya" (pourquoi ce titre je sais pas) est presque normal par rapport au reste du disque. Elle demeure une très bonne chanson. "Morituri" est un titre que j'apprécie particulièrement, même en dehors du produit. Pour moi, il est appelé à devenir un grand classique en devenir. Cette chanson est d'ores et déjà intemporel. Tout dans cette chanson est sublime. Entre les "tradilalila", le duo au diapason, le refrain torturé, et le solo au clavecin, je suis enchanté du début à la fin, jusqu'à trouver la chanson beaucoup trop courte. Beau à pleurer. Le disque (et la carrière de Murat ?) s'achève sur "le cafard", qui résume bien l'état d'esprit de l'ensemble. Blues encore plus sombre que les autres, lancinant comme une agonie, désespoir à son comble, la Beauté résulte tout de même et rend ce titre magnétique.
"Morituri" ne cesse de se dévoiler, comme tous les albums de Murat. Il est surprenant, passionnant. C'est pour cette raison qu'il ne passera jamais à la radio. Mais comme ile l'a dit avec provocation : ça me gênerait d'avoir du succès dans cette époque...