Cruellement usée, la voix de Deller a perdu en agilité, mais surtout la pureté inouïe de son éclat, révélée au public par la BBC quelque trente ans plus tôt. Fallait-il donc enregistrer ce disque ? Et comment !
En 1979, année même de sa mort, l’art du chanteur demeure, qui savait transformer en atout ses faiblesses. A-t-on jamais entendu O Solitude plus émouvant ? « O heav'ns! what content is mine / To see these trees, which have appear’d / From the nativity of time, / And which all ages have rever’d, / To look today as fresh and green / As when their beauties first were seen. » Au contraire de la voix fanée de Deller, donc, qui parfois se brise de manière bouleversante.
Autre sommet de ce récital consacré à Henry Purcell, Since from my dear Astrea’s sight : « Thinking on her / On her, whose absence ’tis / That makes me wish to /
Die, die, die, die » Que dire alors que Deller lui-même mourra peu après ?
Si l’album fait la part belle aux pièces mélancoliques, avec notamment la sublime The Plaint, il comprend aussi des airs plus légers, voire joyeux, qui offrent au falsettiste vieillissant l’occasion de prouver qu’il n’a rien perdu de son humour : I Attempt from Love’s Sickness, Thrice Happy Lovers…
Saluons au passage la présence des instrumentistes Wieland Kuijken et William Christie, alors au début de leur carrière musicale.
Purcell fut l’alpha et l’oméga d’Alfred Deller. Peu importe que l’on se soit mépris durant des décennies sur la voix de countertenor et qu’en réalité Purcell n’ait jamais rien écrit pour falsettiste ! Interprète d’exception, Deller a servi le compositeur comme personne, tout en exerçant une profonde influence sur d’autres musiciens essentiels, à commencer par Gustav Leonhardt.