Wahou ! Le succès du troisième album de Aya Nakamura, simplement intitulé Aya pour insister sur le côté beaucoup plus personnel de l'ensemble, m'a donné envie de me replonger dans ses deux premiers albums et en particulier le second, Nakamura. Après plusieurs écoutes et un début de nostalgie, je découvre ébahi la note moyenne de l'album sur Sens Critique : 3,8 ! Avec près d'un membre sur trois lui attribuant un radical 1/10 !
Pas de doute, la communauté SC est davantage constituée de cinéphiles conservateurs que de mélomanes progressistes (je vais me faire des ennemis mais ça fait partie du jeu). Il est très facile de critiquer le style d'Aya Nakamura, beaucoup moins de faire l'effort de réellement s'y intéresser.
En étant ce qu'elle est, Aya combine deux des attributs les plus stigmatisés de l'histoire : une femme noire. Alors que le monde musical anglo-saxon a depuis longtemps laissé la place à ces pionnières (on pense évidemment à Beyonce qui en a fait un combat personnel, mais bien avant il y a eu Billie Holiday, Aretha Franklin ou Tracy Chapman), elles sont étonnamment absentes du paysage francophone. Dans ce pays d'accueil et d'immigration au lourd passé colonial, la femme noire n'est pourtant pas une anecdote. On peut donc légitimement se demander pour quelles raisons leur exposition est aussi peu défendue ? Qu'est-ce qui empêche ces femmes d'obtenir de réels succès populaires ? ... Revenons en à Aya Nakamura et demandons nous simplement : pourquoi tant de haine ?
La structure musicale de ce deuxième album est assez simple, les paroles sont répétitives et on a du mal à trouver des phrases engagées. Ceci dit, l'œuvre brille par bien d'autres aspects.
- Le vocabulaire utilisé, si critiqué mais si généreux. Aya est une artiste multiculturelle par excellence, née à Bamako et ayant grandi en région parisienne, elle enrichie ses textes d'expressions empruntées au bambara malien mais aussi à l'espagnol, à l'anglais, au français, au verlan et à la street culture. Le terme de langue vivante prend tout son sens dans son parlé élastique, inventif et métissé.
- Le rythme, parce que cet album n'a pas d'autres prétentions que d'ensoleiller le quotidien de ses auditeurs. Les instrus sont soignées et variées, allant de l'afrobeat de Gang à la trap de Pookie en passant par les influences neo soul de Pompom, la chanteuse affine sa technique et prouve sa capacité à poser des textes sur une grande diversité de productions.
- Le succès, même s'il ne garanti en rien la qualité d'une composition, il faut reconnaître que dépasser les 700 millions de vues sur YouTube (Djadja) et devenir le phénomène de l'année ce n'est pas une mince affaire. Là encore Aya n'a pas la prétention de produire un classique de la chanson française, elle cherche avant tout un succès populaire ("j'veux moula moula moula", "j'pense à faire ma thune") et force est de constater que c'est une réussite totale.
- Le comportement, et c'est peut-être la clé de son succès. Elle ignorait les critiques dans son album précédent "on m'guette de haut en bas, j'n'ai pas le temps d'avoir le temps", désormais elle les provoque sans état d'âme "t'as mis un peu d'autotune, ouais mets un peu d'autotune s'te'plaît". Pleine d'audace et de confiance en soi, Aya Nakamura n'est pas l'artiste que l'on présente comme un produit du système, elle casse des codes et en redéfini d'autres. Elle assume sa position singulière dans un milieu qui n'a jamais favorisé son émergence.
L'avenir nous dira si Nakamura passera à la postérité mais une chose est sûre, l'album aura marqué son temps. L'autrice-compositrice-interprète répare une anomalie de l'histoire en s'imposant comme la révélation de ces dernières années, et quoi qu'en pense les nostalgiques de variété française, aujourd'hui c'est bien Aya Nakamura qui représente la musique populaire, il va falloir s'y faire.