Comme un héros grec déchu dans d'infâmes catacombes, on assiste à sa propre et infaillible agonie. Les muscles jadis saillants se sont recouverts d'une épaisse morve de goule malade, les membres autrefois noueux sont désormais aussi chétifs que les squelettes élimés des spectres qui hantent les corridors avoisinants. Une âme malade, suppurant des humeurs grumeleuses, nous noie le corps. Bienvenue dans l'anti-chambre du plus putréfié des paradis célestes.
Netherheaven voit davantage que s'éclipser l'orbite lovecraftienne qui jonchait le précédent caillot sonore du groupe, le très organique The Outer Ones. C'est aussi le temps pour la formation de Boston de retourner à son format originel, à savoir un trio soudé autour du riffing ahurissant du guitariste-hurleur David Davidson. Se réappropriant le scepticisme hérétique et très nietzschéen du groupe, ralliant le thrash furieux et hyper-technique des débuts en le rendant plus serré et poli encore, Revocation refonte bel et bien son son, subtilement. A chaque sortie, le groupe a su nous surprendre en prenant des teintes et des tenants neufs - On se rappelle notamment du duo Deathless et Great is Our Sin, plus mélodiques et variés que d'habitude. Netherheaven retrouve le groove viscéral de Chaos of Forms avec l'armature véloce d'un Existence is Futile. Jamais depuis l'album éponyme de 2013, Revocation n'avait été aussi proche de son échine matricielle.
Il serait pourtant boudeur de penser que Netherheaven n'a rien a prouver et à emmener dans sa panse rouge-démon; au contraire l'album sait perceptiblement bien jouer la carte de la diversité et de la catchiness de tout instant. Certains morceaux sont des odes directs aux noyades du tech thrash des nineties (Diabolical Majesty, Strange and Eternal), tandis que d'autres brûlent d'avantage d'une fièvre death old-school façon Morbid Angel revisité (Godforsaken, Nihilistic Violence). Les méandres d'un black metal insulaire sont toujours rampantes, écoutez rien que l'intro de The Intervening Abyss of Untold Aeons ou le mood de Galleries of Morbid Artistry (et son break acoustique vieil Opeth). Totalement prenantes mais furtivement assimilables, les compositions de Revocation ont semble-t-il encore gagné en alchimie, cintrées autours d'un chant omniprésent et martelant la rage viscérale d'un groupe qui a l'amour de la scène extrême. La production est, comme l'ambiance d'ensemble, touffue et vibrante de vie. Revocation a toujours évité l'éceuil d'un son uuuultra surdosé en technique mais bien trop artificiel - Archspire es-tu là ?-, et ça ne semble heureusement pas prêt de changer.
En véritable machine à riffs, le songwritting de David Davidson fait une fois de plus l’unanimité, et si ce n'est la focale encore une fois un peu trop penchée sur ses grattes et son chant, certes impressionants, l'homogénéité d'ensemble est bluffante. C'est là le seul "bémol" qu'on pourrait adresser à ce groupe, et à cet album : un syndrome chronique du guitariste-omniprésent et omnipotent, qui peut avoir tendance à masquer les jeux pourtant incroyables du batteur Ash Pearson et du bassiste Brett Bamberger, pour le coup carrément dans l'ombre rythmique qui échoit trop souvent à son instrument. On retrouve le même déséquilibre sur un groupe comme Obscura qui, dans des sphères plus cosmiques et melodeath, brille pourtant d'autant de génie. Ce déséquilibre peut à la longue rogner la spontanéité primale et la sympathie authentique que ce genre de musique, déjà très contrôlée, nécessitent tant.
En ajustant la dissonance des solis et des mid-tempos côte à côte avec des leads mélodiques magnifiés, souvent harmonisés, Revocation ravage et sape totalement la concurrence sur un large pan de genres imbriqués. Sur le titre final Re-Crucified, les feats du grogneur George "Corpsegrinder' de Cannibal Corpse et de feu-Trevor Strnad de Black Dahlia Murder font totalement mouche, parachevant la synergie démoniaque et grouillante promise par l'artwork du génial Paolo Girardi.
Netherheaven brasse le meilleur de Revocation, rien que le meilleur, et laisse même espérer, au delà du fun et de la niaque indémodables que procure chacune de ses écoutes, les espoirs d'une progressivité plus fraîche, avec la courte mais très fine instrumentale The 9th Chasm. Preuve est que même dans l'enfer de l'ego, l'ascension n'est finalement pas toujours dantesque.
J'aurais pu mettre un "Sept" seulement du fait de ces frustrations délayées, mais objectivement, l'album et le groupe méritent largement un beau "Huit" ;)