Nevermind
7.8
Nevermind

Album de Nirvana (1991)

Et tant pis si ça ne vous plaît pas...

Il y a un "jeu" à la mode depuis un certain temps qui consiste à rabaisser Nirvana, à montrer que l'on est plus "fin" que les autres parce que l'on a bien compris que "Alice in Chains" (par exemple) c'est bien meilleur que Nirvana et que ce groupe est infiniment surcoté. Sont mis en avant des arguments souvent faux ou débiles tels que : -Le groupe n'aurait pas vendu autant d'albums si Kurt ne s'était pas suicidé et n'était pas rentré dans le 27 club (c'est faux puisque du temps du vivant de Kurt, le groupe vendait déjà des quantités industrielles de ses albums, à commencer par Nevermind, et explosait déjà la concurrence grunge à l'internationale et aux states...seul Pearl Jam leur faisait un peu d'ombre...). -Kurt Cobain n'était pas un grand guitariste : bah oui c'est bien connu le talent d'un guitariste se mesure au nombre de notes jouées par minutes et "Dragon force" est donc le meilleur groupe de la terre par conséquent (mwarf!). -Kurt Cobain chantait mal...bon...pas besoin de développement là il faut juste consulter un orl (et rappeler qu'il peut parfois y avoir une justesse de la fausseté y compris chez les plus grands chanteurs). -Les chansons de Nirvana sont trop simplistes et la structure trop souvent prévisible : je pense que les gens qui soutiennent ça confondent simplisme et simplicité, il y a très clairement des génies de la simplicité qui parvenaient à un maximum d'effets avec un minimum de moyens (d'accords ici...) et Kurt en fait partie. Et puis de vous à moi...je vous le demande...est-ce mal si des refrains sont clairement identifiables et s'ils restent en tête? Personnellement je trouve que c'est un plus...et d'ailleurs Kurt ne s'est jamais caché de ses influences "pop" (il aimait énormément les Beatles par exemple).


Cependant, il y a des arguments plus pertinents qui ne concernent pas ceux qui n'ont pas saisis en quoi Nirvana était un phénomène culturel et le dernier très grand groupe de rock de la planète, il s'agit d'arguments concernant cet album en lui-même et notamment sa production. En effet, comparé au précédent effort du groupe (et au suivant) cet album de l'ascension et de la gloire fulgurante est plus "sage" un peu trop lisse et froid dans sa production. Je me souviens encore de mes 16 ans lorsque j'ai découvert ce groupe et cet album...la claque était telle que je me l'écoutais en boucle comme un camé en manque...et pourtant je n'étais pas encore vraiment fan de rock et je crois que la production polissée de butch vig y est pour quelque chose. Chaque hurlement de Kurt est atténué dans son agressivité par les ornements "pop" de l'ensemble, chaque partie de guitare est électrisante sans jamais sonner "crunchy" (comme cela sera le cas sur "In utero" par exemple), tout est propre...il faut le dire...et le côté chaotique (pour ne pas dire bordélique) du groupe (perceptible en live) se ressent assez peu sur la plupart des titres à part un peu sur "Territorial pissing" qui fout un peu joyeusement la pagaille avec son côté punk hardcore et excessif sorti de nulle part.


Mais...paradoxalement cette propreté est un peu ce qui fait le génie de "Nevermind" en tant que disque dépassant le groupe lui-même (ainsi que l'aura de Kurt Cobain) : ici, Nirvana a réalisé une synthèse parfaite (susceptible, par conséquent de plaire aux non initiés) entre rock énervé et pop mélancolique. Il y a ce qu'il faut d'énergie et de rage pour ne pas être taxé légitimement d'opportuniste ayant renoncé à ses racines punk et ce qu'il faut en terme de fignolage pour que le message passe auprès d'un public plus large que ceux des puristes les plus extrêmes qui aimeraient que "Bleach" soit le sommet absolu du groupe avant la trahison.


La musique en elle-même n'a pas pris une seule ride il faut bien le dire : la lourdeur du heavy metal des pionniers (Black Sabbath en tête) se fait sentir sur le génial "In bloom" sur lequel le divin batteur (Dave Grohl) nous assène un rythme en plomb et des chœurs en fond venant souligner la mélodie imparable du refrain qui, elle, évoque plutôt les Beatles passés à la moulinette grunge. Ce coup de génie consistant à synthétiser mélodie et brutalité de manière charnelle (à tel point que les deux demeurent indissociables) est réussi du début à la fin...et ce n'est pas le mythique "Smells like teen spirit", son célèbre riff de guitare et ses refrains autant rageurs que désabusés qui mériterait forcément d'être retenu en priorité vu le niveau de maîtrise et d'inspiration des musiciens tout le long de l'album. Kurt Cobain et sa bande ont réalisé l'exploit de réécrire les codes du rock en pratiquant un retour à l'urgence et la simplicité qui caractérisait le punk d'antan tout en le conciliant avec une précision mélodique véritablement diabolique (qui est sans doute le seul point sur lequel j'aurais tendance à considérer Nirvana comme supérieur à Alice in Chains et à tout autre groupe de grunge en général). Il faut bien reconnaître que Nirvana avait un truc en plus...et cela transparaît assez bien sur les quelques rares ballades du disque : ce "Something in the way" épuré et accompagné d'un discret violoncelle du plus bel effet fout immédiatement le cafard, les frissons aussi...tant de tristesse contenue en un seul morceau c'est à vous filer la chair de poule (et je ne parle même pas de la version unplugged)!


A l'instar de ses compères d'Alice in Chains, Nirvana avait la chance de posséder un des meilleurs vocalistes de son temps...tout le monde ayant embrassé la cause Nirvana a déjà été bouleversé jusqu'au fond des tripes par ce timbre dont la fracture n'a d'égale que celle de l'âme qui l'interprète... L'énergie et la révolte d'un côté mais aussi le mal-être et la dépression de l'autre sont réunies et conjuguées pour conférer un caractère antinomique profond à l'œuvre de Nirvana laissant une empreinte indélébile dans l'esprit de bon nombre de fans et de générations à travers le monde. D'ailleurs, cette antinomie à l'œuvre dans la musique du groupe était au cœur même de la vie de Kurt Cobain qui, bien des années plus tard, demeure toujours aussi insaisissable : désirant la reconnaissance et le succès ("Nevermind" a été savamment étudié pour...quoi qu'il ait pu en dire), mais rejetant au nom d'une éthique punk la trop grande popularité de son bébé (cf : la pochette du disque, ultra culte au demeurant) qui finira sans doute par le dépasser...pris au piège des contradictions insolubles de la quête de gloire...la fin de Nirvana n'en sera que plus tragique.


Alors non en définitive, "Nevermind" n'est absolument pas un album surestimé...il est l'œuvre majeure de la décennie qui l'a vu naître et une des œuvres majeures du rock tout court...son seul petit "défaut" étant d'avoir été surpassé par le groupe lui-même avec un "In utero" deux ans plus tard qui sera sans doute encore supérieur à celui-ci : plus dense, plus noir, plus brut, plus cru, plus "authentique" en un sens...un sommet jamais plus atteint par la suite par qui que ce soit. Et oui, on peut tout à fait être un gros fan de Alice in Chains, Pearl Jam, Soundgarden et tout autre groupe de grunge génial et reconnaître la force et la dimension mythique de Nirvana qui placera sans doute le groupe à jamais au dessus de tout.


"Nervermind" sera à jamais l'album qui a démontré que le metal (ou le glam) poussiéreux, pseudo-épique, et démonstratif des années 80 avait bien besoin d'un bon coup de napalm pour repartir sur de nouvelles bases plus sincères...plus qu'un disque : une révolution indispensable et salutaire!

Créée

le 11 déc. 2020

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Venomesque

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