Il suffit d'écouter trente secondes de l'introduction du magnifique "Tryouts for the Human Race", premier titre de "No. 1 in Heaven", le huitième album de Sparks, pour comprendre immédiatement : cette mélodie imparable, la voix à nouveau surexcitée de Russell Mael, après une (courte) période terriblement médiocre, Sparks est revenu au sommet... Et s'est aussi complètement réinventé en combo techno-pop, voire même disco, après avoir jeté par dessus bord ses oripeaux de groupe de Rock américain, bien trop étroits pour le génie des Frères Mael.
L'intuition impensable de Ron, sorcier des claviers qui se laisse complètement aller - enfin ! - avec des synthés omniprésents, a été de demander au sorcier italien de la disco, le brillantissime Giorgio Moroder de relancer la machine Sparks. Co-composition de quatre titres sur six, et surtout production superlative, Moroder est devenu pour un album le troisième frère Mael, et relance leur inspiration pour les quarante années suivantes : ces beats imparables, ces virages atmosphériques, et surtout cette répétition entêtante des motifs, tout cela va nourrir plusieurs albums à venir, jusqu'au triomphe artistique de "Lit'l Beethoven" (qui aurait peut être été encore meilleur produit par Moroder !).
Ce qui épate avec "No. 1 in Heaven", au-delà de la qualité retrouvée des mélodies ("La Dolce Vita" fait partie des très grandes chansons sparksiennes !), c'est combien il sonne toujours aussi frais, contemporain, presqu'un demi-siècle plus tard. Il y a une puissance organique qui se déchaîne régulièrement ici, et qui peut soit vous emmener vous trémousser de manière extatique sur le dance floor, soit vous faire monter les larmes aux yeux : "No. 1 in Heaven", voilà pour une fois un titre-publicitaire qui n'est pas mensonger.
Bien sûr, il manque à "Tryouts..." un refrain au niveau de ses couplets pour égaler l'extase de "This Town...". Bien sûr, "Beat the Clock", le moins "moroderien" des six titres, malgré le savoir-faire des Frères, sonne presque un peu raide par rapport à l'orgie émotionnelle du reste de l'album. Bien sûr, "My Other Voice" est trop bancal pour bien fonctionner, même s'il finit par charmer au fil des écoutes. Bien sûr, "The Number One Song in Heaven' - devenu depuis l'un des morceaux incontournables du groupe sur scène - aurait été meilleur avec deux minutes en moins.
Mais dire ça, c'est vraiment chipoter, car seul importe le formidable plaisir, non, la formidable joie que l'on ressent à chaque fois que l'on écoute cet album.
[Critique écrite en 2020]