Parfois, notre corps est le meilleur juge d'un concert. Quand la lumière se rallume, si les muscles se refroidissent et se réveillent de douleur, si la peau a une seconde couche de sueur, la notre et celle des autres, si les oreilles ne veulent plus faire entrer d'autres sons, si le corps n'est plus qu'un pantin bon à suivre la foule sortante. Alors oui, c'était un putain de concert.
L'immense salle de la Qudos Bank Arena, en plein cœur du parc olympique de Sydney, a fait patienter le public avec du rock, et pas de l'électro. Bon signe. D'autant que passe I wanna be your dog, des Stooges. Ceux-là même que nous avions vus à l'Olympic parc en 2006 lors du festival Big day out. Retour sur les lieux du crime ce samedi 2 février 2019.
La bande de Braintree a d'emblée attaqué par Breathe. Mon morceau iconique. Notre morceau. Les nerfs sont directement sous tension.
Maxim Reality entre dans un manteau noir, tel un oiseau de proie. Keith Flint dans une tenue de cosmonaute sonique. Embarquement pour le big beat.
Avec l’âge, on apprend à être raisonnable. On prend des bouchons d’oreille. Ils sautent avant la fin de la respiration. Je n’ai pas attendu 22 ans pour mettre un filtre entre eux et moi. Conneries de quadragénaire précoce. On en reparlera dans 3 ans.
Le groupe mélange tous les albums. Aucun répit. Tout s'enchaîne, ne laissant aucune chance à mon corps, moins alerte et plus lourd, mais soulagé. Cela faisait 22 ans, depuis The Fat of the Land, qu'il attendait de pouvoir défier Prodigy. Keith Flint aussi semble moins alerte qu'avant, mais l'énergie est toujours forte.
The Fat of the Land, c’est le premier album d’électro que j’ai acheté. Le kilomètre 0 de mon cheminement électro. Firestarter, je l’ai écouté en boucle dans Wipeout. Après leur passage à vide, je les avais redécouverts avec Invaders Must Die et suivants. Des albums qui motivent les coups de pression au travail, tels des fouets.
Ce concert à la Qudos Bank Arena, c’est une revanche sur l’adolescence. Trop jeune ou trop peureux à l’époque pour vivre la révolution des raves party. Plus de 20 ans d’énergie à tendre les nerfs, de muscles prêts à bondir, de cris contenus… Tout est sorti ce soir-là, s’entrechoquant contre les corps d’Australiens à la bière mauvaise.
Le show se termine sur Smack My Bitch Up, un cri de ralliement pour toutes les générations. Un hymne intemporel, malgré toute l’ambiguïté à scander un tel slogan. Et après ce déluge de violence sonique, Maxim Reality lance un appel à l’amour et à la tolérance. Incohérences et nuances.
Alors quand un mois plus tard, le 4 mars j’apprends le suicide de Keith Flint, je ne comprends pas. Quelques semaines avant, nous étions dans cet espace hors du temps qu’est un concert, ce temple où on partage l’amour de la musique et une énergie unique. Une parenthèse de vie intense. Et je me rappelle comme la chanson We Live Forever nous a rassemblés en un seul peuple.
Puis, l’émotion passée, je me sens privilégié et reconnaissant. Après Sydney, j’ai appris que Prodigy a donné un concert à Auckland. Leur dernier.