Novö Piano
7.4
Novö Piano

Album de Maxence Cyrin (2009)

Novö Piano de Maxence Cyrin et Sad Cities Handclappers de Electric Electric : deux disques qui retournent le cerveau, brouillent les repères, renversent les codes. Deux disques qui nous interrogent sur notre rapport à la musique, nous révèlent notre attachement à elle plus qu’à des styles en particulier. Deux disques, enfin, qui nous rappellent à quel point la musique peut susciter l’émotion quels que soient la technique ou les instruments qui ont pu être utilisés.

On est d’abord fier que ce soit des français qui aient appelé une telle réflexion. Parce qu’on a souvent tendance à penser que notre pays n’est pas celui du rock. Alors que, précisément, ces artistes-là ont digéré le genre au point de le faire éclater, le projeter dans des univers fondamentalement différents. La techno (pour Electric Electric) et la musique classique (pour Maxence Cyrin) notamment. Les premiers ont choisi de conserver des instruments typiquement rock (guitares, basse, batterie, distorsions) pour interpréter des morceaux aux consonances technoïdes. Le second adapte des standards de la musique pop – au sens large du terme – des trente dernières années (Pixies, Nirvana, Cocteau Twins, Justice, Daft Punk…) avec son seul piano. Dans les deux cas on est surpris, étourdi même, par cette faculté qu’ont leurs chansons à nous emmener en orbite du rock, à titiller nos souvenirs (pour Maxence Cyrin) et nos a priori (pour Electric Electric). Comme si on ne pouvait pas composer de la techno avec de vrais instruments électriques (sous-entendu sans ordinateur), comme si le rock ne pouvait vivre sans eux.

Les titres choisis par Maxence Cyrin (« Where is my Mind », « Crazy in Love », « Kids »…) survivent à travers son piano parce qu’ils sont marqués au fer rouge dans notre mémoire, du moment qu’on les a entendus au moins une fois. Pour le reste, le français parvient à se les approprier totalement, si bien qu’ils deviennent presque de « nouvelles » chansons. Au même titre qu’Electric Electric reproduit presque scrupuleusement les codes de la techno (redondance des mélodies, ajouts successifs d’éléments rythmiques) pour proposer une nouvelle lecture du genre. Dans les deux cas, tout est dans le presque. C’est dans ces approximations, ces écarts volontaires, que l’on trouve matière à réflexion. On se demande, dans le cas de Cyrin, ce que l’on aime dans les chansons originales, au-delà des mélodies. Comment se fait-il que cela fonctionne quelle que soit l’instrumentation ? Quant à Electric Electric, le groupe nous fournit avec Sad Cities Handclappers des pistes pour éclaircir cette opposition de forme entre la techno et le rock.

Une opposition, qui, de fait, ne trouve que peu de justifications à l’aune de l’album du trio strasbourgeois. Car les émotions rencontrées à l’écoute de leur musique sont celles de la techno, indiscutablement. Hypnose, transe, ce sont sans doute des poncifs mais ces sensations sont bien réelles. Et l’on retrouve dans les morceaux de Sad Cities Handclappers cette frénésie typiquement techno. Sur la foi de charleys survoltés, de lignes des guitares aussi imperturbables que des samples. Est-ce du rock ou de la techno ? Peu importe, on est emporté, les frontières s’amenuisent jusqu’à disparaître complètement. Seul compte le corps qui bouge au son des vibrations. La forme revêtue par la musique, électronique ou électrique, n’existe plus. C’est évidemment un point commun avec Novö Piano, qui ne conserve qu’un squelette (les mélodies) pour donner chair à quelque chose de totalement différent. Ce que par ailleurs on pourrait qualifier de musique classique au sens noble du terme, est en fait, c’est ironique, le produit de la sous-culture pop. Toute la complétude du piano, sa capacité à jouer des graves, des rythmes, des mélodies sur un seul et unique clavier, était indispensable pour rendre compte de la richesse cachée des compositions choisies, d’apparence (et techniquement) simples. Éclairer la musique pop, souvent perçue comme simpliste par ses détracteurs, via un instrument habituellement dédié au registre classique : brillante idée qui nous pousse à réfléchir sur les raisons pour lesquelles on aime aussi leur version originale.

Chacun décidera de ces raisons, ou de celles qui font qu’il se sent plus proche d’un style, d’un abord musical plus qu’un autre. Là n’est pas la question. Novö Piano et Sad Cities Handclappers ont ce pouvoir de nous contraindre à revoir nos critères d’appréciation, nos attentes vis-à-vis de la musique. C’est suffisamment rare pour être signalé, et même applaudi quand le résultat est aussi plaisant.

Francois-Corda
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes (ré)écouté en 2021, Les meilleurs albums des années 2000, Les meilleurs albums de 2009, Les meilleurs albums de néo-classique et Magik CDtek

Créée

le 3 janv. 2019

Modifiée

le 12 juin 2024

Critique lue 72 fois

François Lam

Écrit par

Critique lue 72 fois

D'autres avis sur Novö Piano

Novö Piano
Fromtheavenue
8

Critique de Novö Piano par Fromtheavenue

Le 2ème album de Maxence Cyrin, Novö piano reprend la recette de son 1er album Modern Rhapsodies qui nous avait conquis. Le principe est simple (enfin il faut un minimum d'ingéniosité et de talent...

le 12 avr. 2013

1 j'aime

Novö Piano
Francois-Corda
9

Critique de Novö Piano par François Lam

Novö Piano de Maxence Cyrin et Sad Cities Handclappers de Electric Electric : deux disques qui retournent le cerveau, brouillent les repères, renversent les codes. Deux disques qui nous interrogent...

le 3 janv. 2019

Du même critique

Traum und Existenz
Francois-Corda
7

Critique de Traum und Existenz par François Lam

Surprenante cette association entre Rebeka Warrior et Vitalic ? Pas franchement, et à bien des égards. D’abord, Rebeka Warrior est une familière du monde de la techno avec Sexy Sushi depuis des...

le 10 mai 2019

7 j'aime

Civil War
Francois-Corda
5

Critique de Civil War par François Lam

En interview dans le numéro d’avril de Mad Movies, Alex Garland se réclame d’un cinéma adulte qui ne donnerait pas toutes les clés de compréhension aux spectateurs, à l’instar du récent Anatomie...

le 21 avr. 2024

5 j'aime

The Telemarketers
Francois-Corda
8

My name is Patrick J. Pespas

Les frères Safdie, producteurs de The Telemarketers, ont trouvé dans Patrick J. Pespas l'alter ego parfait de leurs personnages aussi décalés qu'attachants créés dans leurs longs métrages de fiction...

le 3 nov. 2023

4 j'aime