New Yorke 1997
OK Computer fait évidemment partie des albums qu'on aurait pas idée de critiquer. Parce que tout a plus ou moins été dit mais qu'une critique exhaustive est impensable, et parce que tous ceux...
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le 28 août 2012
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OK Computer fait évidemment partie des albums qu'on aurait pas idée de critiquer. Parce que tout a plus ou moins été dit mais qu'une critique exhaustive est impensable, et parce que tous ceux susceptibles de l'aimer le connaissent déjà ou auraient fini par l'écouter s'ils ont déjà fait le chemin pour tomber sur votre texte, réduisant fortement l'intérêt d'une n-ième critique laudative.
Car s'il est un album qui n'a plus besoin de publicité c'est bien OK Computer qui malgré quelques rumeurs contradictoires a généré un très gros buzz à sa sortie et fait encore parler de lui 15 ans après notamment dans les classements rétrospectifs où on le retrouve régulièrement très haut. Voire tout en haut. Et justement aujourd'hui je découvre en revenant de vacances, sur un site relativement connu et spécialisé dans les critiques de musique « indépendante », un top de lecteurs portant sur les albums des 15 dernières années. « Cool, OK Computer va encore gagner. ». Et si le top n'était pas des plus intéressants car forcément sans surprise – l'ordre mis à part, il m'aura au moins relancé sur un vieux projet de critique...
Comment ne pas s'étonner ne serait-ce qu'un peu devant une telle réception, pour un album qui sur le papier était loin de s'annoncer comme un disque majeur du rock alternatif, souvent désigné comme le meilleur album des années 90 ou de tous les temps dans les sondages. Non seulement Radiohead n'était pas encore considéré comme un groupe important par les critiques et ne disposait pas non plus d'une énorme popularité malgré le succès de The Bends, mais surtout OK Computer s'éloignait significativement de la recette du précédent : britpop énergique et ballades épurées principalement. « Exigeant » peut-être pas, mais moins accessible il l'était assurément avec un son plus froid au premier abord, moins d'énergie mélodique, des compositions moins classiques et parfois dérangeantes. Tout comme le timbre de voix de Thom Yorke qui lui n'a pas changé, pas toujours agréable quand il est forcé et qui devient encore plus présent dans cet opus. On serait donc tenté de se demander, pourquoi cet album en particulier, et comment se fait-il qu'il puisse générer un tel consensus ..?
Tout d'abord et tout simplement parce que OK Computer peut s'appuyer sur la qualité individuelle de ses pistes : il contient des grandes chansons. Demandez à 10 personnes qui aiment cet album quelle est leur préférée et vous obtiendrez au moins 5 réponses différentes. En fait, il ne contient presque que des grandes chansons qui portent l'album mais n'en sont pas moins exceptionnelles même sorties du contexte de celui-ci. Hormis l'interlude Fitter Happier, seules Subterranean Homesick Alien et The Tourist font exception car moins inspirées et plus atmosphériques. Le seul problème de sélection est à mon avis Electioneering, qui contraste musicalement avec le reste de l'album en plus d'être irritante à la longue. Un reste qui va du très bon à l'excellent et donne une consistance exceptionnelle à l'ensemble, avec seulement un léger déséquilibre en faveur de la première partie. Il suffit de quelques écoutes pour dégager 3 enchaînements impressionnants. D'abord l'ouverture en deux temps digne des plus grands avec Airbag qui marque d'emblée l'évolution du style par rapport à The Bends – mais dont les paroles joyeuses et l'air n'annoncent en rien ce qui va suivre – et la mini-épopée sonore de Paranoid Android qui vous coupe définitivement de la réalité. Puis un premier trio formé d'Exit Music/Let Down/Karma Police. La première détonne musicalement et thématiquement avec le reste de l'album car elle fut composée pour une version filmée de Romeo et Juliette. Elle n'en demeure pas moins la chanson la mieux produite et la plus originale de l'album : une montée en puissance fascinante mais sinistre qui allie (entre autres) piano discret, moments de silence, basse distordue façon bourdon, choeurs gothiques et explosion des cordes vocales. Tout le contraire de Let Down, présentant un crescendo beaucoup plus simple et entrainant sur duo de guitares mélodiques envoutant. Et enfin Karma Police, radio-hit improbable de l'album et avant tout une ballade terriblement efficace dont le final est devenu en quelque sorte l'hymne du groupe. Bref tout le monde connaît, une très bonne chanson mais pas la meilleure de l'album... Car chacun sait que cet honneur revient à Climbing Up the Walls (oui, le morceau étrange avant No Surprises, pff) qui ouvre le second trio de perles – mon préféré. Deuxième merveille de production de l'album, un chant qui ferait passer le monologue de Fitter Happier pour une berceuse apaisante, des paroles que Yorke a soutirées à un psychopathe, des percussions lourdes façon trip-hop crade qui achèvent l'ambiance malsaine, une mélodie insidieuse qui relève du génie, un climax sonore parfaitement maîtrisé et des cris pas vraiment humains pour finir... La piste qui survit à toutes les autres, ainsi qu'aux écoutes répétées. On est pas totalement le même avant et après l'avoir écouté dans de bonnes conditions à moins d'être un habitué du genre ! Heureusement No Surprises vient apaiser votre détresse avec la mélodie de glockenspiel la plus connue au monde soutenue occasionnellement par une guitare aérienne et les lamentations touchantes de Yorke. La dernière pièce de ce trio est Lucky, chanson qui comme Exit Music était déjà composée avant les autres pistes de l'album. Elle fait alterner des couplets calmes baignant dans une ambiance hors du temps sublime avec un refrain à l'optimisme un peu déroutant, pour ensuite laisser la place à un solo de Johnny Greenwood (deuxième maître à penser du groupe qu'on oublie trop souvent, responsable des prouesses guitaristiques mais aussi de nombreux sons électroniques qui parsèment les pistes).
Une autre grande force de l'album vient de la capacité du groupe à introduire suffisamment de variation entre les pistes pour les rendre immédiatement identifiables (certains diront inoubliables) mais en gardant des textures ou des thèmes similaires pour assurer la cohésion de l'ensemble. Impossible de confondre la structure tricéphale démente de Paranoid Android avec la douce fluidité mélodique de Karma Police, l'insécurité angoissante qui reigne sur Climbing Up avec l'apaisante mélancolie de No Surprises – Yorke tenait absolument à rassurer l'auditeur après la première lorsqu'il l'a composée. Et pourtant, l'ensemble possède une identité sonore caractéristique, notamment grâce à des textures alt rock légères voire aériennes pas si éloignées de The Dark Side of the Moon (écoutez celles de Lucky par exemple), ainsi qu'à la voix plaintive de Thom Yorke et au recours à la superposition de couches vocales en fin de pistes.
Outre que réunir ces deux facteurs suffit à en faire un disque majeur des 15 dernières années, période où l'album a progressivement perdu de sa valeur en tant qu'objet et oeuvre globale pour être vu comme un regroupement de chansons vendues désormais à l'unité sur internet (voire de plus en plus quelques bouche-trous pour accompagner les 'tubes' mais je m'égare), il explique en partie le consensus qui l'entoure : même ses pires détracteurs iront généralement sauver 2-3 pistes, certains y verront juste un (très) bon album surestimé, tandis que d'autres le tiendront en haute estime simplement parce qu'ils adorent Karma Police, No Surprises et Let Down par exemple. D'ailleurs OK Computer est l'un des rares albums récents qui réunisse à la fois des passionés de musique et des auditeurs avec une culture musicale plus restreinte. C'est aussi un excellent album-tremplin : nombreux sont ceux qui se sont pris une claque avec cet album qui les a poussés à essayer de nouveaux genre ou à découvrir des groupes de rock moins médiatisés, conservant une place privilégiée dans leur panthéon quoiqu'il arrive en tant que premier amour musical.
Il reste deux points essentiels à évoquer si l'on veut tenter de répondre à la question « Pourquoi lui ? ». Premièrement parce que cet album a la facheuse tendance à vous toucher, là où d'autres albums de rock parfois révolutionnaires en leur temps ne feront « que » vous enthousiasmer. En effet rares sont les albums qui jouent autant sur l'émotion ce qui, selon ce que vous recherchez dans la musique et votre appréciation des emphases Yorkienne, peut plus ou moins vous plaire. Mais il faut reconnaître au chanteur des inflexions de voix remarquables sur à peu près toutes les pistes, et qui confinent au sublime dans les 2e couplets de Let Down et Lucky. Le reste est une affaire d'ambiance, de voix qui plane sur des mélodies instrumentales touchées par la grâce. Aucune ne paraît vraiment complexe ni n'a besoin de l'être puisqu'elles fonctionnent. Complexité ostentatoire et portée émotionnelle font rarement bon ménage de toute façon. A noter aussi que de nombreuses chansons ont une structure assez cathartique, soit via une progression mélodique imparable (Let Down, No Surprises), soit par une libération finale (Exit Music, Karma Police, Climbing Up), ce qui permet à la fois de rendre les compositions « complètes » et d'y plonger totalement son esprit.
Et puis parce que OK Computer est un album, un vrai, qui constitue une oeuvre valant un peu plus que la simple somme de ses parties, avec une vraie identité sonore donc mais aussi thématique. De ce point de vue là, OK Computer se situe entre Fake Plastic Trees de The Bends et son successeur Kid A, dépassant la simple critique de la superficialité d'une société matérialiste dans la première et semblant annoncer la déshumanisation du second. Comme les grands disques, OKC fait mieux que de parler de, il incarne la crainte de l'établissement d'une société dystopique réelle dans un futur proche qui pouvait exister à l'époque, alors même que les caméras de surveillances bourgeonnaient dans les rues de Londres, que la qualité de vie urbaine entâmait son déclin. Pour ne rien arranger , les ordinateurs prenaient de plus en plus de place dans la vie professionnelle, et la robotisation industrielle continuait de progresser. Ainsi les paroles cryptiques (ou dénuées de sens, au choix !) de Paranoid Android semblent provenir d'un esprit rendu malade par une société autodestructrice, tandis que SHA présente un narrateur qui s'est réfugié dans une croyance extra-terrestre (aliens/aliénation mentale, might be the point). La fuite est un des thèmes centraux de l'album, entre celles des amoureux d'Exit Music, la fuite en avant désabusée de Let Down face à la dé-sentimentalisation de la société, celle de la proie / la personne schizophrène dans Climbing Up, et enfin la fuite via le suicide dans No Surprises – comme une réponse au texte de Wouldn't it be nice trente ans plus tard d'un vieil homme abîmé par la routine métro-boulot-dodo et les tracas anti-naturels de la société urbaine occidentale moderne. Enfin Karma Police complète le tableau avec nouveau type d'aliénation, celle des droits naturels (liberté d'expression, …), et l'évocation d'une police intrusive aidée par la dénonciation collective et inspirée de 1984 d'Orwell. Au final rien de franchement nouveau ou important – la musique avant tout –, mais un parfait timing et un argument de plus pour cet album. Certains albums se cloisonnent dans leur propre univers sonore, lui a le potentiel de faire évoluer votre vision de la musique mais aussi celle du monde qui vous entoure.
Grâce à ses qualités musicales, sa relative accessibilité, sa portée émotionnelle et une thématique générale en adéquation avec son temps, OK Computer s'est rapidement imposé comme un des albums les plus importants des années 90.
De plus, son contenu semble à peine avoir été érodé par l'âge ; OK Computer fait indéniablement partie des grands albums du rock, ceux qui réussissent à conserver un son relativement atemporel tout en encapsulant un aspect de leur époque. Pas parfait évidemment (Electioneering ; The Tourist qui pâlit devant quasiment tous les autres album-closers du groupe), mais une oeuvre essentielle de la musique populaire des 20 dernières années.
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Créée
le 28 août 2012
Modifiée
le 29 sept. 2012
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