"Opéra Puccino" est pour moi, ainsi que pour de nombreux auditeurs un véritable classique du Rap Français. Arrivé en 1998, cet album prospère et s’écrit dans une période particulière de la scène du Rap français. En effet la décennie des 90’s marque la véritable émergence du Rap en France tandis qu’aux Etats-Unis ce succès est exponentielle. Les meilleurs MC’s comme Tupac ou Biggie deviennent très rapidement des superstars de la « pop-culture ». En France, l’émergence est moindre, moins impressionnante, elle est croissante mais beaucoup moins explosive qu’aux States, lieu de naissance du mouvement musical. Ainsi, le Rap au début des 90’s est considéré comme Underground, il n’est pas du tout l’un des genres dominants français comme aujourd’hui. Les premiers rappeurs français sont très souvents engagés, ils dénoncent leurs vécus dans des quartiers à l’abandons ainsi que les fortes inégalités qui y coexistent en prime du rejet des « banlieues ». Ainsi, des groupes comme IAM, NTM ou encore Ministère A.M.E.R vont commencer leurs carrières dans un engagement très profond face à cette situation explosive. En fonction des artistes, les maux sont placés sous des techniques de plumes bien différentes. NTM ou Ministère A.M.E.R, vont très souvent être dans la provocation pour toucher à vif son public, pour justement mettre des mots sur ces stigmatisations comme le font aussi le groupe Assassin. Cette provocation est travaillée et réfléchie, une grande partie des « quartiers » vont enfin trouver un moyen d’expression de leur mal-être qui leur correspond au sein même d'un tout nouveau mouvement culturel. D’autres groupes et artistes, vont être dans un travail de sape de la rime, d’avantage dans la recherche de technique et dans la beauté de l’écriture. Utilisant souvent leurs talents pour dénoncer les mêmes souffrances évoquées précédemment tout en détruisant nombres de préjugés sur le Rap. Trop souvent considéré comme un art non réfléchit voir non artistique. C’est le cas d’IAM, des Sages Poètes de la rue ou encore de MC Solaar. Ce dernier aura une certaine reconnaissance du milieu pop et du milieu musical général. Il est l’un des premiers rappeurs à connaitre un succès commercial qui devient extérieur au mouvement Hip Hop hexagonal tout en gardant une certaine reconnaissance de ses paires.
L’année 1998, marque un nouveau tournant dans le Rap français. Après l’explosion du mouvement aux Etats Unis et l’américanisation progressive d’une partie de la culture française. Le Rap français va connaitre à son tour, un succès fulgurant. Les groupes NTM et IAM ayant posés les bases du mouvement, vont par exemple sortir en 98 certains de leurs plus grands classiques et succès. IAM va notamment sortir « l’École du Micro d’Argent », NTM va sortir son album "Suprême NTM" tandis que parallèlement d’autres lyricistes émergent comme Doc Gynéco qui sort « Première Consultation ». Trois albums qui sont aujourd’hui de grands classiques encore écoutés.
Dans cette chronique, nous allons nous intéresser à un autre label qui va renverser cette hiérarchie, il s’agit du label indépendant "TIME BOMB". Composé de plusieurs rappeurs ayant aujourd’hui une incroyable reconnaissance. On peut y retrouver le groupe Lunatic composé de Booba et Ali, les X-Men avec Ill ou encore Oxmo Puccino l'artiste qui nous intéresse. Les premières apparitions du label se font en grande partie via des freestyles comme « Time Bomb Explose », des freestyles qui vont marquer une rupture dans le Rap français par la façon novatrice d’écrire leurs textes. En effet, les Mc’s du label comme Oxmo ou le groupe Lunatic vont allier l’art des rimes, la technique à un langage très cru et moins engagé. Dépendant ici des singularités de chaque membres du label. Exemple, Lunatic travaillera énormément ce langage cru l’associant à la perfection à leur technique pour se faire entendre. Tandis que le groupe X-men ou encore Oxmo vont rester dans un Rap dénonciateur mais prolongeant une technique de la rime très inspirées du Rap New-Yorkais des années 90, au top de sa gloire de l’époque.
Ici, on va s’intéresser au premier album studio d’Oxmo Puccino qui sortit donc cette fameuse année 1998, grande cuvée du Rap français. Il représente avec fierté son label Time Bomb ainsi que Paris XIX dont il est originaire. Un album aux inspirations multiples créant une multitudes de nouveautés faisant la reconnaissance de Time Bomb et d'Oxmo Puccino aujourd'hui.
Opéra Puccino comme son nom l’indique, s’inspire de l’opéra typiquement Italien. Dans l’album on y retrouve nombreuses interludes inspirées de films mafieux à l'italienne. L'artiste y dénonçant ses inquiétudes face à l’avenir des cités et des jeunes générations par son vécu mais aussi par sa culture. Mélangeant violence, amertume et sensibilité sous un format très original se rapprochant parfois de la même violence que l'on peut retrouver dans un opéra classique d'Italie.
En effet, dans cette œuvre Oxmo va construire son récit en fonction de cette inspiration d’opéra italien. Les scènes et actes s’enchainent ainsi que les émotions, tout en restant très fidèle à la culture Hip Hop, à ce qu’il veut représenter. Mais aussi en restant fidèle à cette technique du boom bap New Yorkais dont il s’inspire énormément en la transformant au profit de cette forme d’opéra contemporain. L’album commence ainsi très fort dans la profondeur des caractéristiques évoquées plus tôt. « Vision de vie » nous plonge dans la première scène de cet opéra et place très rapidement les bases et le décor de cette oeuvre. Les rimes poétiques et rudes sont associées à la perfection à la vision mélancolique d’Oxmo. Combinées à des productions fines inspirées des meilleurs techniques de samples du boom bap New-yorkais. Ce titre place directement les bases d’un récit contemporain mélancolique. Introduit par un interlude sombre, ce premier titre fait rapidement penser à une véritable scène d’opéra voulue par le rappeur. Il y a une vraie logique dans cet album ce qui en fait sa résonance. L’histoire progresse peu à peu et on y voit les différentes facettes de l’artiste au rythme de ses anecdotes. Le titre « Hitman » va par exemple être inspiré de la mafia italienne. Oxmo se créé un personnage où fiction et réalité peuvent sembler très proches. Oxmo utilise aussi sa technique poétique des rimes pour son engagement, pour dénoncer les maux que dénonce le Rap depuis ses débuts. La force d’Oxmo, est sa manière d’aborder ces inégalités, ces stigmatisations par son art. L’utilisation des mots y est incroyable et on y ressent un véritable amour pour les lettres ainsi que pour la langue française de l’artiste, rendant son Rap unique. Sa façon d’aborder les problèmes de société est faite à coup d’ironie artistique face à une hypocrisie ambiante que ressent toute une « communauté ». Montrant, que même un jeune de cité pouvait être aussi poétique que certains grands écrivains français, créant une véritable secousse dans les mentalités comme dans de nombreuses écoutes musicales. De plus, il prend pas seulement le point de vue des jeunes de quartiers. Il va aussi porter un discours universel et vrai qui pourra parler à de nombreux auditeurs de tout âges et de toutes catégories sociales à travers des morceaux comme "l'enfant seul". En gardant cet aspect artistique unique, ce morceau devient un classique du Rap Français par sa résonnance et son identification pour de nombreuses générations. L’album progresse toujours, et on y retrouve ces interludes progressives, cette impression d’être devant un opéra, passant d’émotions en émotions, d’idées en idées et d'actes en actes. Le titre « Peu de gens le Savent » est glaçant par sa réalité et par le monologue blasé de l'artiste. Symptomatique de la vérité crue de ses paroles. L’album présente aussi des feats de très grandes qualités, comme "24 heures à vivre" avec d’autres rappeurs renommés. Ou encore « La Loi du point Final » avec "Lino" où ces différents titres marquent différentes scènes de l’œuvre d’Oxmo. Surplombant les actes précédents tout en gardant un même fil conducteur. On y trouve même dans ce projet une scène de déception amoureuse, où Oxmo utilise ses caractéristiques d'écritures au profit de son titre. L’album véhicule alors différentes émotions, différentes histoires et anecdotes se terminant sur une note sombre, comme il avait commencé. Les trois derniers titres marquent les derniers actes de l’Opéra Puccino mais aussi de la mélancolie de l'artiste, allant toujours plus loin dans une prose crue, poétique mais sensée.
Oxmo présente avec ferveur son label Time Bomb, ainsi que son Paris 19ème. Tandis que parallèlement les autres membres du label vont eux aussi sortir leurs premiers albums studios que ça soit les groupes comme les X-men ou Lunatic avec son célèbre « Mauvais Œil » ou en album solo comme le fait Ill. Comme je l’avais évoqué, chaque singularité des membres de ce label indé apportera des innovations conséquentes dans le « Rap français ». Ici, Oxmo va innover par ses singularités en inspirant son récit des opéras les plus célèbres du genre. C’est totalement inédit dans le Rap français. Il va alors utiliser cette idée et sa qualité d'écriture à son avantage pour faire de lui un artiste unique. Pour que l’année 98 au côté de ses paires dans ce label soit elle aussi unique dans le milieu du Rap français des années 90.
En 1997 ce n’ai pas pour rien que la Fnac de Ternes est prise d’assaut pour un concert du label Time Bomb. Montrant l’impact futur de ce label et la folie qui en découlait à son apparition sachant qu’aucun album n’était encore sorti. Tout ceci tourna à l'émeute selon les médias. Montrant ainsi l’importance historique du déferlement de Time Bomb dans le Rap français. Surtout quand on connaît aujourd'hui l’importance de Rappeurs comme Oxmo Puccino ou encore Booba.